À l’heure du confinement, les musées du Vatican viennent jusqu’à vous en décidant d’ouvrir les collections de leurs douze institutions, riches de plus de 70.000 œuvres. Chaque jour, une œuvre sera mise en lumière, et éclairée d’un commentaire d’un pape avec l’espoir d’apporter en cette sombre période une parcelle de beauté et un peu de baume au cœur. Aujourd’hui la Pietà de Van Gogh, “une démarche pour aller de l’ombre à la lumière”.En 1889, quelques mois avant sa mort, Van Gogh peint l’unique Christ de toute sa vie. Un peu par accident, car l’artiste qui possédait une lithographie de Delacroix représentant une Pietà, fut bouleversé le jour où il l’endommagea malencontreusement en répandant dessus ses huiles et peintures. Il décide aussitôt d’en réaliser une copie, l’interprétant au moyen de couleurs vives et de sa touche fougueuse.
Mais pourquoi Van Gogh, peintre au tempérament religieux, qui pensa pendant la première période de sa vie à suivre les traces de son père, pasteur calviniste dans sa Hollande natale, ne peignit-il qu’une seule fois l’image du Christ ?
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Contempler le mystère de l’amour crucifié à travers des Pietà
Avant d’être peintre, Van Gogh souhaitait consacrer sa vie à l’évangélisation des pauvres. Lecteur assidu de la Bible, il se forme auprès d’un pasteur méthodiste à Amsterdam, puis à Bruxelles, avant de travailler comme prédicateur laïc parmi les mineurs de fond du Borinage en Belgique. Mais en 1880, Vincent connaît une crise qui bouleverse sa vie, et faute de devenir évangéliste, il s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et embrasse la carrière de peintre.
C’est probablement en 1889, à la suite d’une autre crise, que Van Gogh réalise la Pietà aujourd’hui conservée au Vatican, lors de son internement à l’asile d’aliénés de Saint-Rémy-de-Provence. Cette représentation de la Vierge Marie éplorée, tenant dans ses bras le corps du Christ supplicié est, selon l’aveu de Van Gogh, centrée avant tout sur la figure de la Mater Dolorosa, Vierge de douleur, souffrant le deuil de son fils mort sur la Croix. Elle apparaît à la lisière d’une grotte qui évoque l’entrée du Sépulcre et gît inclinée, les bras tendus vers l’avant dans un geste désespéré. Son visage, pâle, se découpe contre un ciel orageux où flottent des nuages bordés d’or. Ses vêtements bleus flottent, agités par le vent, comme en écho aux rafales de mistral violentes que Van Gogh dut affronter pour réaliser son tableau, contraint d’accrocher son chevalet à un rocher.
Une œuvre exécutée avec son propre langage
Plutôt qu’une copie fidèle de Delacroix, la Pietà de Van Gogh se présente davantage comme une variation sur l’original . Si le peintre a adopté à la fois le sujet et la composition de la lithographie, il l’a exécutée avec son propre langage. Les silhouettes des figures sont cassées dans une inclinaison accentuée, les coups de pinceaux sont larges et visibles, mais, surtout, la scène est traduite par l’intensité et les contrastes de couleurs. L’ombre des vêtements de la Vierge est d’un bleu sombre absolu, le linceul du Christ contraste par son jaune blanchâtre teinté d’azur, le ciel répète cette opposition de jaune et bleu tandis que la chair du Christ se pare de rose et de vert.
Dans une lettre à Émile Bernard, Van Gogh confesse son admiration pour Delacroix, cet « artiste qui avait un ouragan dans le cœur ». Avec Rembrandt, il considère qu’il est le seul à avoir peint la figure du Christ « comme je le sens ». En peignant la Pietà, Van Gogh reconnaît que, face à sa maladie, il cherche surtout à « faire quelque chose pour se consoler, pour son propre plaisir ». La peinture est, selon ses propres mots, « une démarche pour aller de l’ombre à la lumière ».
Van Gogh, un “peintre crucifié”
Car Van Gogh, cet évangéliste à la vocation contrariée, a pourtant manifesté toute sa vie une foi certaine dans la divinité du Christ qui est, selon lui, un maître capable de réconforter, de consoler et de soulager. Lui, qu’Antonin Artaud qualifiait de « martyrisé » et Raymond Mahieu de « peintre crucifié » n’eut de cesse de proclamer que le meilleur moyen de connaître Dieu, c’est d’aimer beaucoup et de vivre à l’imitation du Christ.
Dans une lettre écrite à Émile Bernard, deux ans avant sa mort, Van Gogh aura ces mots d’une spiritualité authentique, qui viennent en écho aux paroles du pape Jean-Paul II : « « Le Christ seul entre tous les philosophes, magiciens, a affirmé comme certitude principale la vie éternelle, l’infini du temps, le néant de la mort, la nécessité et la raison d’être de la sérénité et du dévouement. Il a vécu sereinement, en artiste plus grand que tous les artistes, dédaignant et le marbre et l’argile et la couleur, travaillant en chair vivante ».
Toute la science humaine, avec ses découvertes et sa technique, et toute intelligence, avec ses compétences organisatrices et ses ressources inventives, font certainement progresser la société, mais elles n’éliminent jamais le Calvaire, parce que le pèlerinage terrestre de l’homme est une recherche de l’Absolu, dans un désir éternel de ce qui le transcende. Il est donc nécessaire de prier pour que la lumière divine irradie les intelligences et secoue les esprits, pour les élever à la perspective des vérités éternelles et des richesses de la grâce. (….) Méditant sur le drame de l’histoire humaine et le mystère de la croix, on comprend que le Calvaire est inéluctable dans le dessein de la création et de la rédemption: Dieu veut notre amour, et la démonstration de l’amour réside dans la foi; mais l’amour ne se donne pas sans douleur! (…) Alors regardez le Christ crucifié, avec la très sainte Vierge Marie, pour sentir dans vos cœurs l’importance et la grandeur de votre souffrance!»
Jean Paul II, Au pèlerinage de l’OFTAL à Rome -21 mars 1987