La réforme du lycée tant attendue ne répond pas à l’affichage proclamé de restauration des humanités et de la culture générale. À l’âge où doit se former le jugement moral, esthétique et critique, le système s’oriente vers une hyperspécialisation précoce des jeunes élèves.
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L’arrivée de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’Éducation nationale a été saluée par beaucoup comme l’ultime chance de scier les défenses de transmettre qui sont le plus bel ornement du “Mammouth”. Homme de talent et d’expérience, désireux d’en revenir aux méthodes qui ont fait leurs preuves et attentif à l’apport des neurosciences, il présente le profil de l’homme qui connaît de l’intérieur le macrocosme de l’Éducation nationale où s’est déroulée toute sa carrière. Il aurait identifié les leviers d’action permettant de faire turbuler le système pour en assouplir le fonctionnement dans une optique plus libérale. Si grâce à lui nous sommes sortis du modèle Peillon-Belkacem, il faut bien constater que la gravitation du système perdure et que le ministre en est lui-même substantiellement un satellite. La preuve en est avec ce nouveau bac qui non seulement ne répond pas à l’affichage proclamé de restauration de la culture générale, mais impose une spécialisation précoce qui en est le contraire. Et qui place les lycéens sur les rails de la prédestination universitaire.
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Objectifs de la réforme
La réforme entend poursuivre un but : simplifier et remuscler le baccalauréat. Avec quatre axes d’effort : note finale établie pour 60 % accordés aux épreuves finales et pour 40 % à la notation continue ; suppression des filières au profit de parcours individualisés ; maintien des épreuves anticipées de français en première ; en terminale, deux épreuves écrites portant sur les enseignements de spécialité auront lieu au printemps et deux épreuves se dérouleront en juin : l’écrit de philosophie et l’oral préparé au long des années de première et terminale (cycle terminal). Le contrôle continu sera composé d’épreuves communes organisées pendant le cycle terminal. Il convient d’emblée de donner quitus à la réforme sur ce point : il récuse l’idée d’un bac évalué majoritairement par la notation continue interne aux établissements. Le projet Blanquer maintient donc le principe du diplôme national et les disciplines du tronc commun seront évaluées par des partiels semestriels, nationaux et anonymes, l’examen du dossier scolaire ne comptant que pour 10 % de la note finale.
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Premier problème : choc de simplification ?
Un collectif de professeurs du lycée Arnaut-Daniel de Ribérac s’est livré à une analyse chiffrée du nombre d’épreuves qu’auront à subir les élèves sur le cycle terminal et, sans entrer dans le détail, le résultat est édifiant. Si à l’heure actuelle, les lycéens passent entre douze et seize épreuves finales selon les séries et les options, le bac 2021 les réduit à six (deux en français en première et quatre en terminale). Mais c’est passer sous silence les « épreuves communes » des matières du contrôle continu en histoire-géo, les langues vivantes évaluées à trois reprises aux deuxième et troisième trimestres de première et au deuxième trimestre de terminale, soit neuf épreuves auxquelles s’ajoutent l’éducation physique, l’enseignement scientifique et l’enseignement de spécialité abandonné en fin de première et également soumise à évaluation. Soit dix-sept à dix-huit épreuves. Autant dire que si simplification il y a, elle ne concerne ni les élèves soumis sur le cycle à une pression continue, ni leurs professeurs qui seront en charge des évaluations dans le cadre de leur fonction, sans les indemnités auxquelles donnaient lieu les corrections d’examen officiel. Cui prodest ? La logique comptable d’économie transparaît en filigrane. On doit aussi pointer l’inégalité de traitement entre les établissements publics ou sous contrat et les établissements hors contrat pour lesquels on ne sait à ce jour quelles dispositions seront prises.
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La suppression des filières et la spécialisation pré-bac des élèves
C’est probablement l’aspect de la réforme le plus contradictoire avec l’objectif de culture générale figurant en tête de gondole. Les filières garantissaient une culture générale déjà suffisamment spécialisée mais restaient ouvertes à une réorientation post-bac. Il s’agira désormais de choisir parmi douze disciplines de spécialités trois disciplines en première et deux en terminales. « Ces disciplines, indique l’Éducation nationale, bénéficient d’horaires significatifs [quatre heures chacune en première ; six heures en terminale] permettant de proposer des programmes ambitieux et de donner du temps aux élèves pour les apprentissages. » Sur le principe, ces disciplines de spécialités doivent permettre la mise en œuvre d’un programme cohérent adapté au profil et au goût de chaque élève. L’emballage est alléchant mais c’est dès la seconde qu’il faut ouvrir la pochette-surprise pour découvrir la logique du système : choisir dès ce moment une stratégie pour intégrer la filière post-bac de son choix. C’est charger d’un poids bien lourd l’élève de 16 ans dont les talents et les motivations sont encore en jachère, bien en-deçà de la « maturité » qui est un autre nom du bac.
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Spécialités et spécialisation des lycées
Jean-Michel Blanquer a déclaré sur Europe 1 que « l’immense majorité des lycées » allait garantir sept spécialités les plus courantes, auxquelles s’ajouteront « une ou deux autres ». C’est là une conséquence grave de la réforme : comme il sera impossible aux lycées d’accéder à toutes ces spécialités, il est clair que l’offre pédagogique ne pourra être garantie partout et que nombre de territoires en seront pénalisés.
On assistera à une spécialisation des lycées, contradictoire avec leur mission de culture générale. La transdisciplinarité des spécialités implique la création de binômes ou de trinômes pédagogiques : par exemple la spécialité « Histoire-géographie-géopolitique et Sciences politiques » — une véritable faculté en ordre de marche qui interroge sur sa cohérence disciplinaire — ou « Numérique et Sciences informatiques » qui constitue une nouvelle discipline sans corps enseignant dédié. Tout cela laisse prévoir bien des difficultés d’organisation interne pour les établissements. Mais ce n’est que l’écume des choses.
La question de l’enseignement scientifique
Les associations de professeurs de sciences (physique-chimie-SVT-mathématiques) sont vent debout face à la réforme où ils voient un nouvel affaiblissement de ces matières où notre système éducatif a perdu des points ces dernières années, au point de porter le bonnet d’âne de l’Europe pour les mathématiques, au grand dam de nos treize médaillés Fields. Le fameux enseignement des « Humanités scientifiques et numériques » doit selon eux comprendre un enseignement scientifique assumé comme tel et sous réserve de lui donner quatre heures au lieu des deux heures hebdomadaires programmées. Ils exigent aussi une offre élargie d’enseignements facultatifs « pour permettre aux élèves d’être en cohérence avec l’évolution actuelle des métiers scientifiques ». Le contenu de cet enseignement reste flou (histoire des sciences ? épistémologie… ?). L’inquiétude de voir rabotée la place des mathématiques est donc réelle devant l’éclatement des enseignements de l’ancien bloc scientifique.
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Le sort des enseignements optionnels
Ces enseignements s’ajoutent aux enseignements communs et d’après le calcul de nos professeurs du lycée Arnaut-Daniel, si l’on ajoute une option aux dix obligatoires, chaque discipline compte pour 0,91 de la note finale. Autant dire epsilon, et donc dissuasif en regard de l’investissement requis par ces options dont les points au-dessus de la moyenne s’ajoutaient aux résultats finaux dans l’ancien système. Ce n’est certes ni le moyen pour valoriser l’engagement des élèves sur des pistes originales comme les langues régionales ou des disciplines artistiques, ni bon pour l’autonomie des établissements. Et les premières options qui vont en pâtir sont les langues anciennes dont on espérait une réelle réhabilitation par Jean-Michel Blanquer.
La culture générale sans les humanités ?
Et nous voilà là au cœur du problème. La suppression des filières réduit à la portion congrue les enseignements littéraires. D’une part, cela jette un doute sur la priorité donnée à l’enseignement du français dans les cycles école-collège. S’il ne débouche pas sur la restauration d’une vraie formation littéraire au lycée, dans la tradition de ces humanités classiques boutées hors-jeu par les pédagogistes et l’on espérait de Jean-Michel Blanquer une inflexion forte dans ce sens. C’est peu dire que la déception est grande. Sur les douze enseignements de spécialité, deux seulement sont purement littéraires : « Humanités, littérature et philosophie » et « Littérature, langues et cultures de l’Antiquité ». C’est peu et si l’on examine le contenu, ce qu’ont fait des agrégés dans une tribune publiée par le Figaro, on comprend vite l’incohérence de leur contenu respectif. Concernant la première, elle semble défoncer une porte ouverte, puisque, observent nos agrégés, « voilà belle lurette que littérature et philosophie campent sur le territoire des humanités. Mais, compte tenu d’un système optionnel inconséquent, le mot humanités est vidé de son sens dans cette spécialité puisque peut la choisir un élève qui n’aura jamais fait de latin et de grec… et que la spécialité en question ne va pas y remédier ». Et la critique concernant la seconde option (Littérature, langues et culture de l’Antiquité) porte sur la même intention brouillonne de faire un amalgame disciplinaire, style art, littérature et citations, qui « risque d’amoindrir la portée véritablement esthétique et critique des textes anciens ».
L’université pré-bac
Le philosophe Alain mettait en garde contre la volonté de faire de l’école « une petite Sorbonne ». Alors que les enseignants en premier cycle ou en CPGE se plaignent du manque de culture générale, de méthode et de maîtrise des savoirs fondamentaux (orthographe et grammaire notamment), au lieu de les renforcer dans le cycle terminal, on instaure un système de spécialisation précoce qui ne permettra pas de poursuivre ce qui est l’objet traditionnel du lycée : l’acquisition de la culture commune qui est le bagage de tout honnête homme, qu’il devienne ensuite ingénieur, médecin, professeur, avocat… Il est curieux que nos intellectuels si prompts à prendre fait et cause pour la moindre entorse au « vivre-ensemble » ne se soient pas saisi de ce dossier qui engage la possibilité même du débat politique. Et cela en pleine crise des Gilets jaunes où l’on voit à quel point le débat nécessite de pouvoir tenir un discours rationnel. C’est tout le projet du soin de l’âme qui prend consistance dans le dialogue avec les grands textes que met en cause cette hyperspécialisation à l’âge où doit se former le jugement moral, esthétique et critique des jeunes intelligences. Bref, le réarmement de « l’âme désarmée », « l’enracinement » et « l’avenir de l’intelligence » ont encore de bonnes marges de progression. Redoublement conseillé.
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La réforme par décret
On s’étonnera enfin du mode de décision du ministère. D’abord, chose inouïe, les nouveaux programmes ont été retoqués par le Conseil supérieur de l’Éducation, dont l’avis n’est que consultatif mais l’expertise reconnue. Pourtant, le 14 janvier, le rapport Mathiot [« Le nouveau bac pour construire le lycée des possibles », pour tenir la note moderne] est déposé au ministère, le projet de réforme est présenté le 14 février par J.-M. Blanquer et les projets d’arrêtés doivent être prêts pour le 12 mars. Comment, sur une réforme aussi importante, décider sans passer par la représentation nationale ? Pourquoi faire voter solennellement un texte de loi « Pour l’école de la confiance » dédié à l’école primaire, le recrutement des professeurs et leur formation, le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO) les dispositions particulières pour l’Outre-Mer… en écartant soigneusement ce qui concerne le bac et la réorganisation des programmes au lycée ? Cette précipitation et cette procédure ne posent-elle pas aussi question ?