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Le conflit qui oppose l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis la disparition de l’URSS est-il arrivé à son terme ? C’est ce qu’espère Erevan et Bakou, qui ont annoncé le 13 mars dernier la signature d’un texte qui doit mettre un terme à près de quarante ans de guerre. Selon les deux gouvernements, un texte de dix-sept articles a été finalisé. Ce texte n’a pas été rendu public, mais plusieurs points ont néanmoins filtré. Les points essentiels de l’accord concernent le territoire du Karabagh, pour lequel l’Arménie a déjà reconnu la souveraineté de l’Azerbaïdjan. Ainsi, l’accord prévoit la renonciation aux revendications territoriales, l’établissement de relations diplomatiques, la réouverture des frontières, la dissolution du Groupe de Minsk et le retrait des forces tierces dans le Karabagh. Les deux pays s'engagent à ne pas autoriser la présence de forces militaires étrangères le long de leur frontière commune. Une façon de chasser les Russes et les Turcs.
Un accord de discorde
Après avoir reconnu la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Karabagh, l’Arménie renonce à toute poursuite judiciaire internationale et lève les options militaires qui avaient été posées. En dépit de cet accord, qui reste encore à être signé et rendu public, des questions cruciales restent en suspens : la gestion du corridor de Zanguezour, la délimitation de la frontière, l’avenir des populations arméniennes vivant au Karabagh.
Si l’annonce de la négociation et de la signature prochaine de cet accord a été bien perçue en Azerbaïdjan et en Arménie, c’est en revanche l’incompréhension et la colère qui dominent chez les Arméniens du Karabagh et de la diaspora. Les premiers se sentent trahis et abandonnés et craignent pour leur avenir. Il est peu certain qu’ils puissent rester vivre au Karabagh ; beaucoup se préparent déjà à partir et à abandonner leurs maisons et leurs bâtiments religieux et culturels, des édifices historiques dont la survie et l’entretien sont un enjeu essentiel. L’Azerbaïdjan a certes promis de permettre aux Arméniens du Karabagh de pouvoir vivre librement dans cette région et de pouvoir pratique leur foi, mais personne ne croit aux promesses de Bakou.
Incompréhension dans la diaspora
Dans la diaspora arménienne, c’est aussi l’incompréhension. Pour beaucoup, c’est une trahison de Nikol Pachinian qui a abandonné la terre du Karabagh. Une incompréhension et une colère qui témoignent de la rupture entre les Arméniens vivant en Arménie et ceux vivant dans la diaspora. Pachinian a été largement réélu lors des législatives de 2021, son parti obtenant la majorité absolue. Or, il a fait campagne sur la promesse d’un accord et d’une normalisation des relations avec l’Azerbaïdjan. Il estime n’avoir de compte à rendre qu’aux Arméniens vivant en Arménie, ceux-ci reprochant aux Arméniens de la diaspora de soutenir une guerre dont ils ne supportent pas les conséquences. La perception du conflit n’est en effet pas la même selon que l’on vive en Arménie ou en France. Nikol Pachinian estime qu’il fait la politique pour laquelle il a été élu. Les prochaines législatives devant se tenir en 2026, les électeurs seront libres de valider ou de sanctionner cet accord.
Un nouveau jeu
Le gouvernement arménien estime ne pas avoir le choix. Avec à peine 3 millions d’habitants, l’Arménie est un petit pays, pauvre et enclavé. Depuis son indépendance, elle a fondé sa sécurité sur la tutelle russe. Une tutelle qui ne fut d’aucun secours lors de la guerre du Karabagh de 2021 et 2022. Une Russie qui est aujourd'hui discréditée du fait de l’invasion de l’Ukraine. Le président Pachinian opère donc un renversement d’alliance en cherchant à se rapprocher des Occidentaux et de faire de l’Arménie un point de passage obligé des routes commerciales qui passent par l’Eurasie, la mer Caspienne et l’Europe. Il tente même un rapprochement avec la Turquie, en expliquant, lors d’un discours prononcé le 24 avril 2024, lors de la commémoration du Metz Yeghern ("Grand crime" ou "grand massacre"), que les Arméniens doivent aller au-delà du génocide, ne pas rester figés dans le passé et regarder vers l’avenir. Des propos que beaucoup lui ont reprochés, l’accusant de céder face à la Turquie.
La voie suivie par le gouvernement arménien est donc fragile. Si elle bénéficie, pour l’instant, du soutien de la population d’Arménie, elle est très controversée en dehors des frontières arméniennes. Beaucoup reprochent à Pachinian d’avoir conclu un accord sous la contrainte et d’avoir cédé à la force. Lui estime n’avoir pas d’autre choix que de solder un conflit de quatre décennies qui empêche l’Arménie de se développer. Un combat politique qui est aussi un combat des mémoires et des divergences d’appréciation.
Renoncer au Haut-Karabagh
Il reste un point de blocage non négligeable : l’exigence de Bakou que l’Arménie modifie sa Constitution en supprimant le préambule faisant référence à la Déclaration d’indépendance de 1990 du pays, qui inclut une revendication territoriale sur le Haut-Karabakh. L’Arménie soutient que sa Cour constitutionnelle a déjà jugé cette disposition obsolète, mais l’Azerbaïdjan reste méfiant. Le Premier ministre arménien a exprimé son désir d’apporter des modifications à la Constitution, mais il risque d’apparaître aux yeux de l’opinion publique arménienne et de la diaspora comme cédant à la pression de Bakou.
Si les observateurs internationaux sont plutôt positifs sur la dynamique en cours et la possibilité de trouver un accord à court terme, les peurs et les craintes des populations du Karabagh sont loin d’être effacées.
