Berceau du christianisme, l’Arménie est souvent considérée comme le premier État chrétien de l’histoire. Risque-t-on de le voir disparaître ?
Le berceau du christianisme est-il pour autant menacé ? La réponse se doit d’être nuancée : le conflit arméno-azerbaïdjanais n’est pas un conflit religieux. C’est le malheur des peuples dont le pouvoir autocratique n’a rien d’autre à offrir qu’un nationalisme exacerbé. Ne pouvant tirer leur légitimité des urnes, les pouvoirs absolutistes inventent des dangers extérieurs pour rassembler leurs peuples et, si besoin, les museler. Propager des discours de haine est, à cet égard, plus efficace que prêcher la fraternité des peuples. Beaucoup d’Arméniens m’ont confié qu’avant les guerres successives qui ont suivi l’indépendance de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan ils avaient d’excellents amis azéris et qu’ils s’étonnaient qu’on en soit arrivé là. Pour ma part, je pense particulièrement à tous ces jeunes, des deux côtés, fauchés à l’orée de leur vie, qui pouvaient rêver d’un autre avenir, non seulement pour eux, mais pour leur pays dans un contexte de coopération régionale qu’il leur revenait d’inventer. Les premiers morts dans les rangs de l’université française en Arménie (UFAR), que j’ai eu le bonheur de mettre sur pied durant ma mission, ont été pour moi comme une perte familiale, tant nous avions échangé avec ses étudiants des premières promotions sur le futur de leur pays, sur les bases d’un Etat de droit, sur la place des femmes, sur l’environnement régional, sur l’ouverture souhaitable des frontières, sur le sens du bonheur… J’imaginais alors que cette université pourrait, par la suite, accueillir des étudiants des pays voisins, Géorgiens, Turcs, Azerbaïdjanais, pour ouvrir des chemins d’entente, de dialogue et de prospérité. La religion n’était pas un obstacle. Dans la tradition arménienne, saint Grégoire l’Illuminateur, tiré de la fosse dans laquelle le roi l’avait fait jeter (le goulag de l’époque, serpents et scorpions en prime), guérit Tiridate de la terrible maladie qui le frappe et lui a fait perdre toute apparence humaine (il se prend pour un sanglier ou un loup dévoreur de sa propre chair) et convertit le souverain, son armée et son peuple au christianisme, faisant de l’Arménie, en 301, le premier pays chrétien au monde. Depuis lors l’Arménie a été engloutie un millénaire dans une succession d’empires dont les noms disparus de nos cartes ne parlent vraiment qu’aux historiens : achéménide, séleucide, parthe, sassanide, romain, byzantin, perse, ottoman, soviétique... L’Arménie est de nouveau là, sur ses trois piliers : la foi, la langue, l’écriture. Peut-être la forme arménienne de la Trinité ?