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Une œuvre d’art en prison pour un jubilé de l’espérance

"Je contiens des multitudes" de Marinella Senatore
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Pierre Téqui - publié le 09/01/25
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Le lendemain de Noël, le pape François a inauguré une sculpture de Marinella Senatore sur le parvis de l’église de la prison de Rebibbia. L’historien d’art Pierre Téqui, lui-même visiteur de prison, présente cette œuvre voulue par le pape dans l’esprit des "merveilles" de l’époque baroque, un art populaire offert au monde par le peuple des baptisés.

C’est une structure lumineuse de six mètres de hauteur ornée de phrases en diverses langues et dialectes. Elles ont été sélectionnées à l’issue d’un atelier d’écriture organisé avec les détenus des sections masculines et féminines de la prison de Rebibbia, dans la banlieue de Rome. L’œuvre, intitulée Io Contengo Moltitudini ("Je Contiens des Multitudes"), est signée par l’artiste italienne Marinella Senatore.

Merveille des fêtes romaines

Avec cette sculpture, Marinella Senatore s’inscrit dans l’histoire des feux d’artifice et les structures éphémères des fêtes romaines de l’époque baroque. Il nous reste des gravures de ces magnificences qui, à travers la meraviglia (qui signifie merveille en italien) transmettaient des messages symboliques. Le concept fait référence à la stupeur faite d’étonnement et d’admiration que suscite une œuvre d’art ou une expérience esthétique. Élément central des fêtes baroques romaines, la meraviglia devait provoquer une émotion intense, combinant beauté et grandeur, afin de toucher l’esprit et l’âme. Il faut connaître l’austérité des cours de prison pour se rendre compte de l’émerveillement que peut susciter pareille apparition.

Bien qu’elle soit d’une ampleur plus modeste que certaines de ses créations monumentales, Io Contengo Moltitudini demeure emblématique du travail de Marinella Senatore. Une partie importante de son œuvre s’inspire des luminarie : ces structures lumineuses spectaculaires et colorées, utilisées en Italie, notamment dans le sud du pays, lors de processions religieuses ou de fêtes patronales. Il s’agit de cadres en bois ou en métal ornés d’ampoules formant des motifs géométriques, floraux ou architecturaux. Aujourd’hui, leur usage s’est étendu au-delà du religieux : elles embellissent les festivals modernes, les installations artistiques et les événements touristiques.

"Je contiens des multitudes" de Marinella Senatore
"Je contiens des multitudes" de Marinella Senatore - © Cristiana Perrella | Margherita Villani

Le pape François et l’art contemporain 

Comment une telle œuvre a-t-elle vu le jour ? Elle a été commandée par le dicastère pour la Culture et l'Éducation. Mais si l’initiative en revient au cardinal Tolentino de Mendonça, une commande artistique ne s’improvise pas. C’est un métier. C’est Cristiana Perrella, une curatrice italienne réputée, qui a œuvré pour que le projet aboutisse. Le lendemain de Noël, le pape François a inauguré la sculpture sur le parvis de l’église de la prison de Rebibbia, église dont le pape a symboliquement ouvert la porte pour marquer l’entrée dans le Jubilé. Traditionnellement, les portes que le pape ouvre sont au nombre de quatre et se trouvent dans les basiliques majeures de Rome. Dans un geste inédit dans l’histoire des Jubilés, le pape a tenu à ouvrir celle de l’église de la prison de son diocèse. Ce signe exprime sa proximité avec les détenus du monde entier et symbolise l’espérance ainsi que la réinsertion sociale.

Il n’est pas inutile de se tourner vers le Vatican pour mieux comprendre la place que le pape François accorde à l’art contemporain. Ce qui intéresse d’abord François, c’est la démarche de l’artiste : son intention et le processus de création. En novembre 2014, il avait ainsi ouvert les jardins du Vatican au sculpteur argentin Alejandro Marmo, inaugurant un Christ ouvrier et une reproduction de la Vierge de Luján. Marmo, utilisant des rebuts de métal comme matière première, avait travaillé avec des toxicomanes en thérapie dans la ferme de Castel Gandolfo. Ensemble, ils avaient ramassé, trié et nettoyé divers déchets pour composer la figure du Christ crucifié. La forme et le matériau exprimaient à la fois l’abandon et le rejet, sublimés dans l’image d’un Jésus souffrant et solitaire.

Le cri des pauvres

À l’image d’Alejandro Marmo, Marinella Senatore n’a pas travaillé seule. Son œuvre est le fruit d’un dialogue avec les pauvres et les exclus. Le pape François, qui dénonce souvent la "culture du déchet" — culture d’une société qui consomme et jette, culture d’une société qui exclut et rabaisse —, invite à transformer ces déchets, à ne pas les délaisser mais à en faire une image de la souffrance du Christ et le signe d’une espérance.

L’art que promeut le pape François se soucie des pauvres, des exclus et des périphéries. La création doit se faire leur voix, voire leur porte-voix : Io Contengo Moltitudini met en lumière le cri de ceux que nous ne voulons plus voir ni entendre. Ce ne sont pas les artistes qui parlent à leur place, mais des artistes qui se mettent à leur service. Que lit-on ? Que nous disent-ils ? Que nous demandent-ils ? Ils nous supplient "d’ouvrir une porte là où tout le monde les ferme". Ils nous disent que "le passé enseigne parfois à construire un avenir meilleur". Enfin ces détenus proclament ceci : "Nous nous élevons uniquement en élevant les autres."

Un art qui valorise l’art populaire et qui évangélise

En Italie comme en France, et sans doute partout ailleurs, les aumôniers de prisons ont ce constat en partage : ce ne sont pas eux qui "apportent le Christ". Il n’a pas besoin de nous pour franchir les murs : il est déjà présent dans la prison avant qu’on vienne. On va vers les détenus pour être une présence d’évangile, pour écouter plutôt que pour enseigner, pour que son prochain puisse parler, pour prier avec lui, pour lui dire qu’il n’est pas seul et que sa vie compte à nos yeux. Ce que les aumôniers de prison entendent ce sont ces mots qui chancellent entre l’angoisse et l’espérance, des mots qui, comme sur l’œuvre de Marinella Senatore proclament parfois : "Je suis vivante ! Je vivrai éternellement."

L’art que promeut le pape François possède d’autres caractéristiques que d’être à l’écoute des périphéries : c’est un art qui valorise l’art populaire. Marinella Senatore a puisé dans un répertoire accessible à tous : les feux d’artifice et les illuminations du sud de l’Italie. Il ne s’agit pas d’une iconographie élitiste, mais d’une image joyeuse et populaire. L’art que promeut le pape François n’est pas non plus un catéchisme qui enseigne mais un témoignage qui évangélise. C’est un art qui n’est pas fait d’œuvres qui délaissent ou détruisent, mais d’œuvres créées à partir de ce que le monde rejette. Enfin, les œuvres d’art que promeut pape François ne sont pas élitistes ou solitaires, mais sont des signes offerts au monde par le peuple des baptisés.

"Je contiens des multitudes" de Marinella Senatore
© Cristiana Perrella | Margherita Villani

"Raviver l’émerveillement"

En février 2023, s’adressant aux membres de la fondation italienne Ente dello Spettacolo, le pape François avait attribué aux artistes le devoir de "raviver l'émerveillement" : "Le monde, troublé par la guerre et par tant de maux, a besoin de signes, d’œuvres qui suscitent l’étonnement, qui laissent transparaître la merveille de Dieu" (Vatican News, 20 février 2023). La merveille de Dieu dans cette œuvre de Marinella Senatore c’est la traîne d’espoir de ces mots des détenus qui surgissent d’une étoile lumineuse ; une étoile qui brille dans la nuit d’une prison ; des mots qui sont ceux de "pèlerins d’espérance".

* Nous remercions Cristiana Perrella pour ses précieuses informations et les photographies qui accompagnent cet article.

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