"Un ami dit que le miel est la seule chose qui puisse vous donner le goût d'une région." La terre de Thibault Carli, en ce mois de décembre, sommeille sous des écharpes de brume, couronnée par les cimes enneigées des Aiguilles de Popolasca. Ses abeilles, qui produisent un miel au parfum puissant de maquis, au printemps, en été et en automne, sont, à cette période de l'année, bien au chaud dans les 160 ruches de l’apiculteur. Avec le froid, les insectes hivernent dans l'attente de janvier, lorsque les reines relanceront le cycle de la vie en pondant les premières larves, en prévision des lendemains plus fleuris du printemps.
C'est à Moltifao, au nord de Corte, que vit Thibault Carli, 38 ans, avec son épouse Joanne et leurs cinq enfants – quatre garçons et une fille. Dans leur foyer, une atmosphère de Noël se fait déjà sentir. Les enfants, assis autour d'une grande table, sont occupés à leurs devoirs, étant scolarisés à la maison. "C'est un choix que nous avons fait pendant le Covid. C'était difficile, mais nous avons continué et nous ne regrettons pas", explique Thibault Carli. D'ici quelques jours, toute la famille se rendra à Ajaccio pour voir le Pape… pour la deuxième fois. Chez lui, plusieurs photos sur les murs rappellent en effet le jour où toute la famille s'est retrouvée devant François lors d'une visite à Rome en 2020. "C'était le jour de la fête de Notre-Dame du Rosaire", souffle Joanne.
![Thibault-Carli-famille-Pape](https://wp.fr.aleteia.org/wp-content/uploads/sites/6/2024/12/Thibault-Carli-famille-Pape.jpeg?resize=620,826&q=75)
"Nous étions allés à l'audience générale, c'était pendant la pandémie, mais nous n'avions pas d'invitation. Pendant un moment, on a cru qu'on allait être expulsés, mais finalement un gendarme a discuté avec un responsable et nous avons été placés tout devant. À la fin de l'audience, nous avons vu le Pape s'approcher, et il s'est soudainement avancé vers nous pour nous parler." La scène a été immortalisée en Une de L'Osservatore Romano, le célèbre journal du Vatican, une édition que la famille conserve fièrement en souvenir. À l'époque, Thibault Carli avait 33 ans et se préparait à devenir diacre. Étant donné sa jeunesse, il a presque fallu demander une dérogation pour son ordination, mais finalement son évêque, Mgr François Bustillo, a célébré son ordination en 2022, à l'âge prévu de 35 ans.
Un retour aux sources
Depuis deux ans, Thibault Carli est donc au service de sa petite communauté catholique, dispersée dans des villages perdus dans la belle montagne de Haute-Corse, où il prend aussi soin de ses abeilles. Mais rien ne le prédestinait à cela. Ses parents, pas particulièrement pratiquants, sont originaires de la région, mais étaient partis travailler sur le Continent, où il a grandi. Dans son adolescence, il se passionne pour les ruches, mais beaucoup moins pour l'Église, même si un grand-oncle prêtre lui a laissé une forte impression.
Son chemin de foi a été long et plein d'imprévus, mais il a commencé véritablement lorsqu'il a décidé de s'installer en Corse à 18 ans. "J'ai redécouvert ma foi ici, mais cela a pris du temps, ce n'a pas été une conversion fulgurante." Il habite alors en Balagne, sur le bord de mer, où il rencontre son épouse. "Elle avait une foi plus régulière et m'a aidé", confie-t-il. Il se rapproche des confréries qui le séduisent par leur engagement auprès des plus pauvres, au point qu'à 23 ans, un prêtre le repère et lui parle du diaconat. Le jeune homme refuse catégoriquement.
Comme une abeille au sein de la ruche
Le temps passe, sa famille s'élargit. Thibault Carli décide de retourner sur ses terres, dans la région de Moltifao, et d'abandonner les rythmes frénétiques de l'hôtellerie. "Je ne voulais plus de cette vie", explique-t-il, reconnaissant qu'il faisait alors passer le travail avant la messe. Il fait alors le pari du grand changement et se consacre à sa passion d'enfance : les abeilles. "Elles m'intéressent plus que le miel", confie l'apiculteur, qui se voit "comme un berger auprès de ses bêtes." Ce qui le fascine particulièrement chez cet insecte biblique, c'est la nature sociale quasiment organique de la ruche, dans laquelle chaque abeille vit pour les autres. « Si on isole une abeille, elle ne vit que deux jours, elle se laisse mourir."
![Thibault-Carli-miel](https://wp.fr.aleteia.org/wp-content/uploads/sites/6/2024/12/Thibault-Carli-miel.jpeg?resize=620,826&q=75)
Ce sens de la vie commune, il le retrouve également dans ses terres. À Moltifao, son nouveau métier l'occupe, mais lui laisse aussi du temps, notamment pour sa famille. Le père Jean-Claude Mondoloni, un vieux prêtre atteint de la maladie de Parkinson, remet la question du diaconat sur la table et l'encourage à s'engager pour la communauté. Il lui confie l'accompagnement des catéchumènes. Une mission à laquelle s'ajoutent d'autres responsabilités qui le pousseront à accepter, en 2017, la proposition de Mgr de Germay, évêque de Corse, de suivre une année de discernement pour devenir diacre." J'étais devenu acteur et non plus spectateur", explique-t-il.
Au service des siens
Dès 2018, on lui donne une lettre de mission pour célébrer les obsèques. Puis, après son ordination en 2022, s'ajoutent les baptêmes et mariages, pour près de 50 cérémonies par an. "Mais mon travail, c'est la partie émergée de l'iceberg. Le plus important pour un diacre, c'est d'être au milieu de la population, car on crée des liens qui ne sont pas que formels, mais de réelles amitiés", explique-t-il. "Notre présence compte beaucoup, mais notre absence est encore plus remarquée", assure le diacre, soulignant l'importance du soutien de sa femme dans sa mission. Si la Corse est une terre chrétienne pleine de ferveur, il note que beaucoup, comme lui, sont sortis du giron de l'Église ces dernières années, surtout depuis que les prêtres se font rares. "Je suis en terre de mission, la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux", affirme-t-il. Pour cela, il s'appuie beaucoup sur les confréries, qui servent de pont entre la société et l'Église, et jouent un rôle central dans la vie rurale.
Récemment, le cardinal Bustillo a confié à cet ami des bêtes – deux petits ânes au regard doux et deux bons chiens en témoignent – la mission de réfléchir à la mise en œuvre de l'encyclique Laudato si' dans son diocèse. "La Corse est un terrain fertile pour la parole du Pape", assure le diacre-apiculteur, qui veut transmettre à ses concitoyens le sens de la fraternité et de la maison commune.
![Une “papamania” gagne la Corse](https://wp.fr.aleteia.org/wp-content/uploads/sites/6/2024/12/PAPE-CORSE-AJACCIO-ART-DE-RUE-AFP-050_ONLY_0507522.jpg?resize=300,150&q=75)