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Quand les Corses étaient les gendarmes du Vatican

Le dôme de la Basilique Saint-Pierre, au Vatican.

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Camille Dalmas - publié le 10/12/24
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Au XVIIe siècle, les Corses ont servi les papes au sein de la Garde corse papale, un corps qui, par certains aspects, anticipe la création de la Gendarmerie vaticane.

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Le 16 juillet, chaque année, le quartier romain du Trastevere célèbre la fête de la Madone de Noantri (soit "de nous autres" en patois local). Il s'agit d'une représentation de la Vierge, vénérée dans une petite église, Sant'Agata, qui fut retrouvée dans le Tibre au XVIe siècle. Sept jours plus tard, la Vierge est portée en procession sur le Tibre, au son des Ave Maria, passant sous les ponts comme on égrène un chapelet. Elle est escortée par de nombreux bateaux de Romains qui sont attachés à perpétuer cette tradition. Et chaque année, elle est accompagnée par un petit groupe de Corses.

La madone de Noantri escortée sur le Tibre.

Ces derniers l'appellent aussi "la Madonna Fiumarola", et ils aiment rappeler que ce sont des Corses, qui, cinq siècles auparavant, ont repêché cette statue en bois de cèdre dans le fleuve. En passant sous le ponte Sisto, qui relie le Trastevere au centre historique de la ville, ils ne manquent jamais de se souvenir d'un épisode célèbre de la présence corse à Rome : l'affaire de la Garde corse papale. "Le fait est peu connu, mais les papes ont eu pendant près de 60 ans un corps d'armée composé exclusivement de Corses, comme il y a aujourd'hui une Garde suisse", explique Iviu Pasquali. Cet ancien parachutiste est un des habitués de la fête de la Madone de Noantri. En 2014, il a créé l'Association de la Garde corse papale, avec pour but de partager notamment l'histoire de cette unité qui fut au service des pontifes.

La communauté corse de Rome

Iviu Pasquali raconte comment, à l'origine de cette unité, il y a l'installation, au cours des siècles, de très nombreux Corses à Rome. Cela commence au IXe siècle, afin d'échapper aux razzias des Maures, puis s'interrompt avant de reprendre au début de la Renaissance pour des motifs souvent économiques. Les Corses sont alors employés dans les champs du littoral toscan et du Latium, mais ils viennent aussi s'installer à Rome, notamment dans le quartier du Trastevere, dans lequel ils jouent un rôle important dans le commerce de vivres. En 1543, la basilique de San Crisogono devient la paroisse de cette communauté, qui prend une place de plus en plus importante dans la vie de la cité papale.

"La Corse a reçu quatre dons majeurs de la Nature : ses chevaux, ses chiens, ses hommes fiers et courageux et ses vins, les plus généreux, que les princes tiennent en la plus haute estime !"

Cette installation ne va pas sans difficulté : dans un article consacré à cette présence corse, l'historienne italienne Anna Esposito rappelle notamment qu'en 1475, le pape Sixte IV s'est publiquement inquiété de la montée du banditisme corse dans le Latium et leur a interdit de s'installer à Rome. En 1500, sous Alexandre VI, ils sont même tous bannis (l'étymologie du mot bandit) des territoires du pape, qu'ils soient prêtres, soldats, ou simples travailleurs, à une seule exception : "ceux qui conduiraient du vin et des marchandises avec eux".

Quand la Corse fournissait Rome en vin

En effet, à l'époque, les Corses jouent un rôle essentiel pour approvisionner Rome en vivre et surtout en vins de Corse, à l'époque très réputés. Dans la galerie des cartes au Vatican, on retrouve cette inscription au-dessus de la carte de la Corse : "La Corse a reçu quatre dons majeurs de la Nature : ses chevaux, ses chiens, ses hommes fiers et courageux et ses vins, les plus généreux, que les princes tiennent en la plus haute estime !". Malgré l'insistance d'au moins trois papes pour chasser les Corses, ceux-ci restent en nombre, et des compagnies de soldats corses, menées par des condottieri célèbres tels que Sampiero Corso ou Raffaelo Corso, sont souvent engagées par les papes. Et c'est pourquoi, en 1603, le pape Clément VIII décide de créer officiellement une garde corse de 600 hommes.

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Musée de la ville du Vatican, galerie des cartes.

Ces derniers "sont chargés de la gendarmerie dans les campagnes romaines, de la surveillance des murs et des rues de Rome, alternant entre un travail de police et de douane", explique Iviu Pasquali. Les membres de cette garde sont autorisés à être enterrés dans la crypte de leur "église nationale", San Crisogono. Plusieurs casernes leur sont allouées, et leur compagnie est renforcée de 400 hommes par Urbain VIII afin de combattre la criminalité importante dans la ville romaine. Pendant ces années, les gardes corses sont aussi célèbres pour leur rudesse, qui intimide les criminels mais provoque aussi parfois des rixes : en 1642, sept soldats corses sont pendus dans le Borgo après avoir saccagé la via dei Coronari.

L’incident diplomatique de 1662

Mais c'est un autre incident qui va causer leur perte. Le 20 août 1662, une rixe éclate sur le ponte Sisto entre des gardes corses et des hommes de l'ambassade de France, qui se trouve à proximité, au Palais Farnèse. Les hommes de l'ambassadeur de Louis XIV, le comte de Créquy, harcèlent les gardes papaux depuis leur arrivée, faisant monter la pression depuis des semaines. Lors du combat, un garde corse est grièvement blessé (il mourra de ses blessures plusieurs jours après). Apprenant la nouvelle, les membres d'une caserne se rebellent, et, contre les ordres de leur lieutenant, foncent au Palais Farnèse, où ils prennent en embuscade deux carrosses, tuant deux personnes. Les combats se poursuivent dans les rues, faisant quinze morts en tout.

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Pont Sixte à Rome.

Mais l'affaire n'en reste pas là : pour le roi Louis XIV, ce sont des soldats du pape qui ont tenté d'assassiner son ambassadeur. Le roi Soleil exige que les soldats impliqués soient exécutés, en plus de compensations exorbitantes. Le Pape tente de défendre ses hommes, mais après deux ans de conflits pendant lesquels Louis XIV annexe le territoire papal d'Avignon, Alexandre VII est contraint d'envoyer son neveu, le cardinal Flavio Chigi, pour négocier la paix avec ce qui est alors la plus grande puissance du monde.

La fin de la Garde corse

Le traité de Pise, en 1664, aboutit à l'exécution de plusieurs gardes, à la dissolution de la Garde corse, ainsi qu'à la construction d'une pyramide sur le lieu d'une de leur caserne sur laquelle le Pape inscrit que la "Nation corse" est "déclarée inhabile et incapable de servir le Siège Apostolique". Le monument est détruit cinq ans plus tard, mais la Garde corse ne sera jamais reconstituée. Dans la plus belle tradition du Lamentu corse, Iviu Pasquali a composé une chanson qui rappelle cette "tragédie". Il espère pouvoir la chanter un jour devant le Pape.

Cependant, si la Garde corse est dissoute, de nombreux Corses vont rester à Rome pour servir la papauté, notamment dans ses autres corps armés. En 1816, quand le pape Pie VII crée la Gendarmerie vaticane, appelés alors les Carabiniers, il s'appuie sur des Corses, qui ont continué à tenir cette fonction depuis 1664."La Gendarmerie vaticane est l'héritière de la Garde corse", assure Iviu Pasquali.

Aujourd'hui, il est encore possible de voir les dernières traces de ce passé oublié à San Crisogono. Dans la basilique, le père Agostino Lewandowski indique la tombe d'un capitaine de la Garde, puis accompagne avec enthousiasme les visiteurs dans la crypte, où de nombreux autres gardes corses ont trouvé le repos éternel. "Chaque année, il y a de nombreux Corses qui nous rendent visite, nous sommes leur paroisse à Rome", confie le prêtre polonais.

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