Qu’en est-il vraiment ? Que contient-il exactement ? Aleteia a pu consulter la dernière version du projet, qui a évolué depuis sa publication en mars dernier. Il a en effet fait l’objet de nombreux remaniements après son passage à la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGSCO). C’est cette dernière version qui devrait être présentée au Conseil supérieur de l’éducation le 12 décembre prochain. Si les objectifs de la démarche sont louables (connaître son corps, reconnaître ses émotions, éduquer au consentement, apprendre le respect, promouvoir l’égalité garçons-filles), et même, pour certains, indispensables (lutter contre le harcèlement, les violences sexistes et sexuelles, la pornographie), il n’en demeure pas moins que la mise en œuvre de ce programme dérange à plus d’un titre.
Des éléments positifs
"Il y a des aspects intéressants dans le projet", souligne Philippe Delorme, secrétaire général de l’Enseignement catholique, auprès d'Aleteia. "Nous sommes d’accord avec le fait que l’éducation affective, relationnelle et sexuelle a sa place à l’école car nous croyons à l’importance d’accompagner les jeunes dans leur construction personnelle, tout en respectant leur singularité et leur développement. Mais cela exige beaucoup de délicatesse", précise-t-il. Parmi les éléments positifs soulignons la volonté d’inculquer aux élèves le respect du corps et de l’intimité, la maîtrise de ses pulsions, la notion de consentement ou encore d’égalité entre filles et garçons. De son côté, Hélène Laubignat, présidente de l’Apel (Association des parents d’élèves de l’enseignement libre) nationale, rappelle que "l’Apel a toujours été pour s’emparer de ce sujet" et reconnaît qu’ "il y a des choses très bien" dans le projet, comme "apprendre à un enfant à savoir dire non" ou "montrer qu’à travers la sexualité on avance vers quelque chose de beau".
En effet, le projet de programme a le mérite de ne pas réduire la sexualité à une fonction de reproduction ou de plaisir. Il évoque en ce sens qu’elle peut "contribuer à la recherche d’une vie épanouissante". L’accent est également mis sur la manière dont devrait être dispensée l’éducation à la vie affective et sexuelle à l’école : "neutralité", "prudence", "respect de la liberté des élèves et la singularité de leurs parcours de vie" en sont les maîtres-mots, en théorie.
Une "matière" à part entière
Mais dans les faits, comment respecter la singularité de chaque élève en établissant un programme très détaillé, avec des attendus très précis pour chaque niveau, des activités définies pour chaque classe et des liens à faire avec les autres matières ? C’est une des premières craintes évoquées par Philippe Delorme : "Le projet présente l’éducation à la sexualité comme une matière à part entière, qui correspond à un programme. Mais on ne peut pas faire entrer un sujet comme celui-là dans un programme ! Éduquer à la vie affective et sexuelle demande de s’adapter à la maturité de chaque élève, cela exige de la souplesse, de la délicatesse, or un programme ne permet pas cette délicatesse." En ce sens, l’Enseignement catholique estime que le "respect de la personnalité de l’enfant", garanti par le code de l’Éducation (L111-2), n’est pas assez assuré.
Autre sujet de préoccupation, les parents sont les grands absents de ce programme. Ils ne sont cités qu’une seule fois dans le projet qui stipule que les parents d’élèves seront "informés" des programmations des séances d’éducation à la sexualité. Or le code de l’Éducation reconnait que "l’État garantit le respect de l’action éducative des familles" (L111-2). Pour Philippe Delorme, ce projet de programme prend le parti de se substituer à la responsabilité éducative des parents. "Il semble primordial d’associer les parents à la démarche, autrement qu’en les informant. Il serait bon de les former et de les aider à aborder le sujet avec leurs enfants", précise le secrétaire général de l’Enseignement catholique, en citant notamment le travail fourni auprès des parents et des éducateurs au sujet du harcèlement.
"On est bien dans l’idéologie du genre !"
Le projet de programme contient-il des traces de l’idéologie du genre ? Entendons-nous d’abord sur ce qu’est l’idéologie du genre. La théorie du genre considère que l’identité sexuelle de l’être humain ne dépend pas du sexe biologique mais du ressenti subjectif de chacun. Il est difficile de nier la place que tient la théorie du genre dans le nouveau programme. Le terme "identité de genre" est mentionné pas moins de 17 fois (sur 42 pages), alors qu'il n'apparaissait que deux fois dans la première version du projet rédigée par le Conseil supérieur des programmes (CSP). Dès les petites classes (CE1), on invite à distinguer le genre et le sexe, sous couvert de lutter contre les stéréotypes de genre. Ainsi, une des activités proposées en CE1 consiste à repérer les stéréotypes dans les catalogues de jouets, les publicités, le choix des couleurs des emballages…
Mais c’est en 5e que cette théorie est plus prégnante. Le programme prévoit d’inviter les élèves à "identifier ce qui relève de la détermination du sexe biologique (appareils génitaux mâles, femelles et intersexués), du genre (identité de genre, expression de genre), et de l’orientation sexuelle". La compétence à acquérir ? "Comprendre comment l’attirance et les sentiments amoureux permettent de prendre conscience de son orientation sexuelle". "En pleine puberté, dire que le genre se choisit et se construit au fur et à mesure, c’est bien une idéologie !", s’exclame Philippe Delorme.
En Seconde, il s’agit de "comprendre que les différences biologiques entre les femmes et hommes ne déterminent pas les expressions, les comportements et les rôles attribués au genre "masculin" et de "féminin". L’activité proposée consiste à lire ou entendre des témoignages de personnes montrant que l’identité de genre d’une personne peut ne pas correspondre à son sexe biologique. Enfin, difficile aussi de ne pas voir la marque d’un lobby militant lorsque le programme prévoit de s’interroger, en Terminale, "sur le sens des "Marches des fiertés" destinées à donner une visibilité aux personnes LGBTQ+".
Des approches d’adultes
Au-delà de la question du genre, c’est aussi cette tendance à prévenir les questionnements des enfants qui interroge. "On ne part pas des questions des élèves", souligne Philippe Delorme. "Ce sont les adultes qui prennent les devants, au lieu de répondre aux questions quand elles viennent". Hélène Laubignat évoque en ce sens le programme de moyenne section qui prévoit d’identifier "les différentes formes du cadre familial" (familles hétéroparentales, monoparentales, homoparentales ; parents vivant ensemble, parents séparés, enfants adoptés, enfants confiés à une famille d’accueil ou à la garde d’autres membres de sa famille que ses parents). "Pourquoi passer en revue les différents modèles familiaux ? C’est semer le trouble dans l'esprit des élèves, c'est mettre certains face à des situations auxquelles ils ne sont pas prêts", alerte-t-elle.
Une démarche "pro-active" dont le paroxysme semble atteint en classe de Terminale, frôlant l’absurdité. Dans le but de reconnaître ses émotions et ses désirs, une activité invite les élèves à "analyser des représentations [de la sexualité] stéréotypées et non réalistes (par exemple, via la pornographie)". Une précision entre parenthèses qui n’existait pas dans la version de mars 2024. En matière de lutte contre la pornographie, espérons que l’on puisse mieux faire…
Dans un entretien à Ouest-France le 29 novembre, Anne Genetet a affirmé que "la machine [était] lancée", ce qui semble exclure tout rétropédalage. Néanmoins, Philippe Delorme demande un report pour éviter un "passage en force" et se dit disponible pour nouer le dialogue et "établir un document consensuel". Une tribune publiée dans le Figaro ce dimanche 1er décembre et signée par 100 sénateurs LR (Les Républicains) dénonce l'idéologie woke dont est empreint le projet de programme et en appelle "au retrait de toutes références à la notion d’"identité de genre" ainsi qu'à un "éclaircissement du discours", dépourvu du zèle d'associations militantes. Le projet de programme, qui devait initialement être présenté le 5 décembre sera finalement présenté le 12 décembre prochain au Conseil supérieur de l’éducation, qui émettra un avis. Le ministère peut ensuite promulguer, ou pas, l’arrêté, dont les dispositions entreront en application à la rentrée 2025-2026.