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C’est une flambée de violences à laquelle Port-au-Prince est tristement habitué. Depuis début novembre, la capitale d’Haïti est le théâtre d’attaques violentes et sanglantes des gangs qui contrôlent déjà au moins 80% de la capitale. Plus de 40.000 personnes ont été déplacées en l’espace de dix jours, a alerté ce lundi 25 novembre l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), décrivant la pire vague de déplacements depuis deux ans. "L’ampleur de ces déplacements est sans précédent depuis le début de notre réponse à la crise humanitaire en Haïti en 2022", a commenté dans un communiqué Grégoire Goodstein, chef de l’OIM pour Haïti. Au total, plus de 700.000 personnes sont déplacées dans ce pays pauvre des Caraïbes.
"Les gangs envahissent régulièrement de nouveaux quartiers à Haïti contraignant à de nouveaux déplacements de population mais les choses se sont accélérées ces derniers jours", confie à Aleteia sœur Paësie, missionnaire en Haïti depuis plus de vingt-cinq ans. La religieuse a fondé la famille Kizito, une communauté qui prend soin depuis sept ans des enfants des bidonvilles en veillant à leur éducation, que ce soit à travers l’école, la catéchèse ou des activités de loisir. Malgré la violence, pas question pour elle de quitter le pays. "Tant qu’il y a des enfants à protéger à Haïti nous restons", assure-t-elle. Entretien.
Aleteia : Plus de 40.000 personnes ont été déplacées en une dizaine de jours seulement à Haïti. Quel est votre regard sur cette situation ?
Sœur Paësie : Les personnes sont régulièrement déplacées depuis déjà quelques années à mesure que les gangs envahissent de nouveaux quartiers. Les habitants, qui sont contraints de s’enfuir, ne peuvent revenir. Ils se retrouvent définitivement chassés. Mais le problème du logement à Port-au-Prince est plus large : une partie de la population n’a pas ou plus les moyens de payer un nouveau loyer dont le prix augmente. Les Haïtiens se retrouvent entassés dans les écoles, des sortes de camp… D’autres sont accueillis par leur famille au début mais cela devient très dur dans la durée. Depuis quelques semaines, et c’est cela le plus inquiétant, on voit de plus en plus de gens dans la rue, qui dorment dehors. Et c’est cela le plus dangereux. Dans le quartier de la Sarthe à Port-au-Prince où j’habite, il y a eu une attaque de gangs qui voulaient tuer les policiers qui y habitaient. Heureusement ces derniers étaient au courant et ont pu en réchapper mais les gangs ont quand même de nombreuses victimes, notamment parmi les personnes qui vivaient dans la rue.
Notre mission est de protéger les enfants à Haïti et tant qu’il y en a à protéger nous restons.
Votre mission s’en trouve-t-elle impactée ou menacée ?
Avant-hier, une petite fille de 12 ans arrivée chez moi. Elle avait pris balle dans la jambe lors de l’attaque et n’avait pas réussi à trouver un hôpital ouvert pour la soigner car les hôpitaux sont désormais hors d’état et sa maman a été tuée dans l’attaque. Hier, j’ai reçu une dame qui emmenait son fils à l’école le jour de l’attaque. Elle portait un autre de ses enfants, bébé, dans ses bras. Elle est tombée sur un gang et s’est fait violer devant ses enfants avec trois autres jeunes femmes. Oui, mon quotidien s’en trouve modifié mais ma mission est toujours la même : prendre soin des enfants des rues. Notre mission est de protéger les enfants à Haïti et tant qu’il y en a à protéger nous restons.
Justement le nombre d’enfants recrutés par des bandes armées aurait augmenté de 70% en Haïti sur un an et ils formeraient près de la moitié des effectifs de ces gangs, a récemment alerté l'Unicef. Cela nourrit-il une inquiétude supplémentaire quant à votre mission ?
C’est un chiffre à prendre avec du recul et des pincettes. Bien sûr certains jeunes rejoignent les gangs mais c’est un fait compliqué voire impossible à quantifier. C’est d’ailleurs tout l’objet de la famille Kizito : invitant les enfants des rues à rejoindre nos structures, nos centres, nos écoles pour qu’ils ne se retrouvent pas livrés à eux-mêmes. Nous avons des foyers qui leur sont intégralement consacrés. 2.500 enfants fréquentent nos centres et nos écoles. Nous avons huit écoles, six foyers d’accueil, six centres de catéchisme et nous employons 160 salariés.
Ici on ne se projette pas, c’est un jour à la fois et avec l’aide du Seigneur je vois ce que je peux faire pour protéger les enfants et je laisse le lendemain au Seigneur.
Quel rôle joue l’Église sur place ?
Aux dernières nouvelles 18 paroisses étaient fermées à Haïti car elles se trouvaient dans des quartiers tenus par des gangs dont les membres occupaient les églises. Dans toutes les autres paroisses ou cela est possible elles fonctionnent, elles accueillent des déplacés. Le rôle de l’Église dans l’accueil, l’écoute et la consolation des fidèles est essentiel.
Craignez-vous le lendemain ?
Ici on ne se projette pas, c’est un jour à la fois et avec l’aide du Seigneur je vois ce que je peux faire pour protéger les enfants et je laisse le lendemain au Seigneur. Vous évoquez la violence et les souffrances et elles existent ! Mais il y a une autre facette qui est le courage et la foi des Haïtiens. Leur joie de vivre malgré la situation terrible qu’ils vivent est épatante. Quand je rencontre des victimes, je suis bouleversée par leur courage. Je pense tout particulièrement au sourire triomphant des enfants qui arrivent à l’école. Ça se lit sur leurs visages dès qu’ils arrivent à l’école : ils ont surmonté une épreuve de manière victorieuse. Je le vois aussi chez les femmes victimes de violence que je rencontre. La plus grande violence dont les gens souffrent est la pauvreté elle-même. Le fait de ne rien avoir à donner à leurs enfants, de ne pas avoir d’endroit ou se loger… Malgré cela elles sont incroyablement courageuses. Il y a une expression en créole qu’elles emploient souvent : "Bon Dieu connaît", c’est-à-dire "Dieu sait". Je l’ai entendu prononcée tellement de fois avec une paix, une sérénité et une confiance en le Seigneur… même qu’elles avaient vécu les pires atrocités. Leur confiance en Dieu me bouleverse, elle m’évangélise.