Le sanglant et sinistre accident pour lequel Pierre Palmade vient d’être jugé fait revenir sur le devant de l’actualité deux maux dont il semble que nous devenions incapables collectivement de prendre la mesure et donc de nous soigner : l’explosion des addictions qui révèle un mal de vivre chaque jour plus largement partagé, et le blocage mental qui empêche toute discussion constructive sur la question de l’avortement.
L’explosion des paradis artificiels
Sur le premier point, nul n’est besoin d’épiloguer sur la place qu’occupent dans la vie de nombre de nos concitoyens les drogues sous leurs différentes formes : du joint fumé entre copains à la pratique du chemsex qui ouvre les portes de l’enfer. D’aucuns cherchent en vain à les distinguer, arguant de ne pas tout confondre, que les unes seraient récréatives et les autres à proscrire. Mais les enquêtes convergent sur le constat que la légalisation des premières n’arrêterait ni le trafic, ni les crimes qu’il génère. Tous oublient aussi qu’il reste hautement problématique que, pour affronter le vide ou le stress de leurs quotidiens, des hommes et des femmes de toutes sortes et nombre de jeunes, ne puissent imaginer s’y risquer sans recourir à ces paradis artificiels qui trompent et détruisent lentement ou rapidement mais, toujours, sûrement.
Plus de 5 millions de consommateurs réguliers de cannabis en France, 600.000 utilisateurs de cocaïne, 400.000 pour les drogues de synthèse, selon le rapport 2022 de l'Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT). Les chiffres sont effarants et permettent à 240.000 personnes de vivre dans notre pays de ce commerce illégal. Mais qui évalue le mal de vivre et les angoisses qui étreignent bien des cœurs et des cerveaux chaque jour devant une existence que l’on a vidé de sens et d’horizon ? Osons le dire, si la drogue se répand, sans parler des médicaments et de l’alcool, c’est qu’elle répond à un besoin. Qui s’interroge de nos jours sur ce besoin dans une société où l’on nous apprend à nous regarder les uns les autres comme interchangeables, jetables, consommables... ? Une société qui ne discute plus mais où la verticalité se fait de plus en plus brutale tout en se parant du faux-nez d’une horizontalité factice et cynique, est une société qui devient morbide. Car c’est bien la parole qui manifeste la vie, le débat qui fait grandir et la rencontre qui ouvre sur l’avenir. Sinon, c’est le repli, la peur, la mort.
Avortement : impossible de parler
Ainsi pour le sujet ô combien dramatique et délicat de l’avortement. Le procès Palmade a rappelé crûment cette vérité juridique qui ne coïncide en rien avec celle de l’expérience : le fœtus ne saurait être considéré comme une personne. Pourtant, les chroniqueurs judiciaires le rapportent tous, naïvement, lorsqu’ils rapportent le témoignage de la jeune femme victime du chauffard. Dans les minutes qui suivent leur arrivée, les secouristes pratiquent sur elle une césarienne pour tenter de sauver le bébé qu’elle attend depuis six mois. La maman explique : "Je l’ai prise dans mes bras, pour moi, elle était en train de dormir." "Mais si aux yeux de la justice, la petite fille était un "fœtus", dans le cœur de sa mère, c’était déjà sa fille. Elle avait commencé à lui tricoter des vêtements, à préparer la chambre", rapporte 20 Minutes. Cette incapacité à dire les choses, à chercher à en diminuer la gravité en transformant le réel et en faussant le langage est une catastrophe humaine en plus d’être une escroquerie intellectuelle.
Le procès Palmade a rappelé crûment cette vérité juridique qui ne coïncide en rien avec celle de l’expérience : le fœtus ne saurait être considéré comme une personne.
Aux États-Unis, certains États comme le Minnesota autorisent l’avortement jusqu’au neuvième mois de grossesse. En France aussi si la santé de la mère est en danger, y compris sur le plan psychologique. Sans doute imagine-t-on que les dégâts sur la conscience collective et individuelle seront évités si l’on affirme que le fœtus n’est pas une personne ? On a le droit de penser que, devant une telle hypothèse, on devrait au moins avoir le droit de discuter sans en passer par les anathèmes et excommunications respectives. Mais non, "force reste à la loi" même si les mots qu’elle utilise sont suspects : impossible de parler. Il y a d’un côté le petit nombre qui décide et de l’autre la foule ignorante qui doit obtempérer.
L’exemple de la parole dans l’Église
Non qu’elle soit exemplaire, loin de là, mais sur ce plan l’Église devrait pouvoir apporter sa pierre : la synodalité est en fait l’expérience même qui le permet. Considérer que le baptême donne à chacun la possibilité de se laisser informer par l’Esprit et d’être ainsi porteur de sa parole, de sa lumière, pour les autres, du plus humble au plus puissant, est une vraie source de réflexion. Prendre l’exemple sur ce que pratiquent depuis toujours moines et moniales qui, à l’échelle de leurs monastères et abbayes, sont les vrais inventeurs de la démocratie lorsqu’ils se rassemblent en chapitre où chacun trouve sa voix et porte sa prière et son expérience.
Peut-être faudrait-il, pour rendre l’expérience probante au-delà des clôtures religieuses, que la mise en place de cette synodalité puisse produire des conséquences pratiques et débouche sur des décisions mises en œuvre qui manifesteraient ainsi que l’on ose bien croire en ce que l’on proclame ? Ce serait un fier service que l’Église se rendrait à elle-même et surtout qu’elle apporterait au monde.