"Je viendrai en Corse, en théorie le 15 décembre, c’est le plan", a confié le pape François à un journaliste de Paris Match en marge d’une audience ce matin avec les membres du foyer Notre-Dame des sans-abri et de l’association des amis de Gabriel Rosset, du diocèse de Lyon, confirmant ainsi des informations qui circulent depuis plusieurs jours. C’est la première fois qu’un Pape se rendrait sur l’île française située à moins de 300 kilomètres de Rome. Le pape François souhaite en effet participer à Ajaccio à un colloque sur la religiosité populaire en Méditerranée. Selon nos informations, l’annonce officielle du voyage pourrait avoir lieu la semaine prochaine. "Même si tout peut toujours arriver entre temps", souffle une source vaticane. Ce serait la troisième fois que le pape argentin foulerait le sol français, après ses passages à Strasbourg en 2014 et à Marseille en 2023. Mais il ne s’agirait toujours pas d’une visite d’État en France.
Côté programme, le Pape devrait arriver en Corse à 9h, après un vol d’environ une heure. Une rencontre avec le président de la République Emmanuel Macron est bien à l’étude. Le Pape devrait dans la matinée participer à la clôture du colloque sur la piété populaire en Méditerranée. Il rencontrerait dans la cathédrale d'Ajaccio le clergé corse ainsi que les laïcs engagés dans l'Église à l’occasion de la prière de l’Angélus. Dans l’après-midi, une messe rassemblant plusieurs milliers de fidèles à Ajaccio serait au programme. Le Pape devrait repartir vers 17h30. Dans le vol retour vers Rome, une conférence de presse avec les journalistes embarqués serait bien envisagée, comme à chaque voyage du pontife à l'étranger.
Pas Notre-Dame de Paris
Le calendrier de ce déplacement papal sur l’île de beauté surprend aussi bien à Rome qu’en France. Le président Emmanuel Macron et l’archevêque de Paris Mgr Laurent Ulrich avaient tous deux invité François à se rendre à Paris pour la réouverture de Notre-Dame de Paris prévue les 7 et 8 décembre. Mais le pape François a fermement démenti les projets de voyage à Paris lors de son voyage début septembre en Asie du Sud-Est et en Océanie. Peu de temps après, il a aussi annoncé que se tiendrait à Rome ce week-end-là un consistoire avec la création de nouveaux cardinaux, éteignant définitivement les espoirs de voir le chef de l’Église catholique dans la cathédrale reconstruite.
Il apparaît que les évêques de France ainsi que l’Élysée ont été prévenus tardivement de ce projet de voyage en Corse, probablement décidé en petit comité entre le Pape, le cardinal François Bustillo et Mgr Peña Parra, substitut de la secrétairerie d’État, le "numéro 3" du Saint-Siège. Ce dernier était venu en mars en Corse pour célébrer la fête de la Madunnuccia, une fête religieuse traditionnelle en l’honneur de Notre-Dame-de-la-Miséricorde.
Un voyage sous haute tension politique ?
Si le motif du voyage porte exclusivement sur le sujet de la dévotion populaire, le déplacement du chef de l’Église catholique a déjà une portée politique. Certains rapportent que l’Élysée serait mécontent d’avoir été mis devant le fait accompli. Lors de la récente assemblée des évêques à Lourdes, un certain étonnement a également accompagné l’annonce de ce projet. "Nous avons été surpris, une fois de plus", confiait ainsi à I.Media un évêque avec une pointe de lassitude.
À Rome, plusieurs sources indiquent que ce déplacement résume bien le profil du pape argentin. "C’est du François que d’aller dans un diocèse périphérique de France pour parler de piété populaire quand tout le monde l’attend à Paris pour un événement mondial", glisse un bon connaisseur.
Mais certains rappellent aussi que les relations avec le président Emmanuel Macron, chaleureuses en apparence – ils se tutoient -, se sont dégradées ces derniers mois. "Le Pape est inquiet du projet de loi sur la fin de vie et le lui a dit", rappelle-t-on. De même, en février dernier, les médias du Vatican s’étaient fendus d’un éditorial condamnant le projet d’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution française . La venue du pape en Corse est par ailleurs de facto un événement fort pour cette île rattachée à la France en 1768 et où les débats sur ses liens avec le continent sont vifs et engendrent parfois de graves violences.
En mars dernier, l’Assemblée de Corse a adopté un projet constitutionnel pour une autonomie de l’île. Le cardinal Bustillo n’est pas opposé à un tel projet politique qui peut selon lui apporter la paix sans porter atteinte à l’unité de la nation française. Une position que ne partage pas tous les membres du gouvernement français actuel. Lors d’un déjeuner avec des sénateurs autour du cardinal Bustillo en mai dernier, Bruno Retailleau, devenu depuis ministre de l’Intérieur, avait fait part de son désaccord avec l’évêque d’Ajaccio. Il voyait dans ce projet d’autonomie une constitutionnalisation du "communautarisme dans un pays déjà archipellisé". Le pape François ne devrait pas entrer dans ces débats lors de sa visite en Corse. "Mais on peut s’attendre à des récupérations de part et d’autre de cette venue", glisse une source diplomatique.
La poursuite du "pèlerinage méditerranéen" du Pape
Le colloque auquel le Pape souhaite participer verra des universitaires et des évêques méditerranéens d’Italie, d’Espagne et de France prendre la parole pour parler de la piété populaire dans le bassin. Mgr Brouwet, évêque de Nîmes, parlera par exemple de l’évangélisation par les traditions populaires. Cet événement est une manière pour le pontife de poursuivre son "pèlerinage méditerranéen" inauguré dès son premier voyage en tant que Pape avec son déplacement sur l’île de Lampedusa en 2013 pour alerter sur le drame des migrants. Il a depuis sillonné de long en large le bassin méditerranéen avec des visites en Israël, Palestine et Jordanie (2014), en Albanie (2014), en Turquie (2014) en Bosnie-Herzégovine (2015), en Grèce (2016 et 2021), en Égypte (2017), au Maroc (2019), à Chypre (2021) ou encore à Malte (2022). Il a par ailleurs visité une dizaine de villes italiennes bordées par la mer.
Ce voyage en Corse, au cœur de la Méditerranée, intervient enfin quelques semaines après la parution de sa quatrième encyclique, Dilexit Nos. Dans ce texte portant sur "l’amour humain et divin du cœur de Jésus Christ", le Pape insiste sur l’importance de la piété populaire. Il demande par exemple "que personne ne se moque des expressions de ferveur croyante du peuple saint et fidèle de Dieu qui, dans sa piété populaire, cherche à consoler le Christ".