La réouverture de Notre-Dame de Paris s’accompagne de nombreuses nouveautés, qui n’en sont pas toujours. Parmi celles-ci : les visiteurs et fidèles entreront dans la cathédrale non par le portail Sainte-Anne, côté sud, mais par le portail du Jugement, au centre de la façade occidentale. Nul doute que chacun sera saisi par la blancheur retrouvée des pierres et par la majesté de la nef gothique. Peut-être les regards avisés remarqueront-ils aussi que le chœur, orienté, a une fâcheuse tendance à pencher à gauche. Rien de politique à cela… mais du symbolique ?
À vrai dire, la chose est aussi répandue dans les édifices religieux romans et gothiques qu’elle est débattue chez les archéologues, architectes et historiens de l’art. En 1906, l’historien Robert de Lasteyrie dit par exemple que toute interprétation symbolique de cette incongruité architecturale "relève de la pure fantaisie". En effet, détaille-t-il dans son ouvrage La déviation de l'axe des églises est-elle symbolique ?, il n’y a pas de règle majoritaire et les églises désaxées à gauche sont aussi nombreuses que celles qui le sont à droite.
Pour les tenants du symbolisme
Pour les tenants du symbolisme, la déviation du chœur par rapport à la nef de certaines églises, dont Notre-Dame de Paris, est une manière de traduire dans la pierre la parole de l’évangéliste Jean au moment de la mort du Christ : "Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : ‘Tout est accompli.’ Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit." (Jn 19, 30) Les églises romanes et gothiques ayant un plan de croix latine, le chœur y prend la place de la tête du Sauveur. Laquelle s’affaisse au moment de la mort du corps, en même temps que le Fils de Dieu expire : son âme quitte son enveloppe charnelle. À noter que l’apôtre ne précise pas de quel côté tombe le chef de Jésus.
Évidemment, il existe de nombreuses autres interprétations possibles à cette discontinuité entre les deux parties principales des églises concernées, des contraintes urbanistiques aux différentes périodes de construction en passant par la difficulté de travailler, le plus souvent, à partir de fondations préexistantes. Viollet-le-Duc, architecte principal de la rénovation de Notre-Dame au XIXe siècle, choisit cette dernière hypothèse dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle : "Les églises qui présentent cette déviation dans leur axe [sont construites] partiellement sur l’emplacement d’églises déjà existantes, [ce qui laisse] à penser que ces déviations des chœurs de nos églises proviennent d’erreurs, inévitables alors, dans la plantation de monuments construits à deux reprises".
Impossible, donc, de conclure que les bâtisseurs de la cathédrale parisienne ont voulu évoquer la croix ou s’ils se sont légèrement trompés dans leurs calculs. Une certitude : dans une église qui accueille depuis 1801 les reliques de la Passion – la couronne d’épines, un morceau de la croix et un clou – imaginer que la nef tout entière est le corps du Christ et le chœur son chef est un joli clin d’œil. Et une belle manière de signifier ce qu’est l’Église, composée des pierres vivantes que sont les baptisés.
