Réponse au XXIe siècle : on ne sait toujours pas. Mais au fond de quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qui fait débat avec l’axe pas dans l’axe ? Quelles sont ces églises, cathédrales et abbatiales qui sont désaxées ? En réalité il ne faut pas confondre l’orientation d’une église et son axe. L’axe est donné par la nef, cette partie va du narthex (juste après avoir passé le portail/porche pour entrer dans l’église) jusqu'à la croisée du transept et donc arrive au chœur. La nef est longitudinale et lorsque l’on regarde vers l’autel depuis le fond, il arrive que le chœur ne soit pas tout à fait dans le prolongement de manière rectiligne. L’axe de l’église est donc « dévié » ou l’église est "désaxée", c’est selon.
En Occident, Clémentine Bourdin, archéologue, nous rappelle que la règle pour le chevet d’une église (la partie la plus sacrée, le chœur, le déambulatoire et l’abside) est qu’elle soit « orientée » c’est à dire vers l’Est, à l’Orient, en direction de la lumière et du Levant. Cette lumière symbolise Jésus et quand on se dirige vers la lumière on va vers le Ciel et donc vers la Vie. Tandis que symboliquement l’ouest évoque les Ténèbres, donc la mort. Au Moyen-Âge, ceux qui n’étaient pas baptisés ainsi que les catéchumènes n’avaient pas le droit de dépasser le narthex. Ils ne faisaient pas encore partie du Royaume de Dieu, ils étaient encore dans les ténèbres.
L’inclinaison de la tête du Christ sur la croix ?
Viollet-le-Duc dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle (1854-1868, tome 3, page 235), esquisse une explication qui ne le satisfait pas totalement : "Presque toutes les églises françaises, et particulièrement les grandes églises abbatiales et cathédrales, présentent une déviation plus ou moins prononcée dans leur axe, à la réunion du chœur avec les transepts, soit vers le nord, soit vers le sud. On a cherché naturellement à donner l’explication de cette singularité.
L’auteur du Moyen-Âge qui pouvait le mieux en donner la raison, Guillaume Durand, qui applique à chaque partie de l’église une signification symbolique, n’en dit mot. Les « archéologues modernes » ont voulu voir, dans cette inclinaison donnée à l’axe des chœurs des églises, soit une représentation mystique de l’inclinaison de la tête du Christ sur la croix ( Jn 19, 30, "Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : "Tout est accompli." Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit"), soit une orientation particulière de l’abside vers le levant et de la façade vers le couchant."
Une déviation pas toujours du même côté
Cette thèse avancée par les archéologues modernes "relève de la pure fantaisie", selon Robert de Lasteyrie en 1906 dans son ouvrage La déviation de l'axe des églises est-elle symbolique ? (p.285-289) où il indique que : "Tout le monde sait qu'il est de règle de figurer le Christ expirant sur la croix, la tête penchée sur l'épaule droite, c'est à dire du côté gauche par rapport au spectateur qui regarde de la croix". C'est donc à gauche ou vers le Nord, dans les églises régulièrement orientées, que l'axe du chevet devrait toujours incliner pour que l'idée de voir dans cette déviation une préoccupation symbolique fut le moins du monde plausible.
Or il est facile de prouver que la déviation est loin de se produire toujours du même coté. Elle a lieu à droite aussi souvent qu'à gauche, au Sud aussi bien qu'au Nord". Pour preuve ces quelques exemple d’églises dont le chœur incline vers le Sud : l’église de Guibray à Falaise, celle d’Autheuil dans l'Orne, à Meymac en Corrèze, à Saint-Germain-des-Prés à Paris, ou encore Saint Hilaire de Poitiers, etc...
L’argument de l’erreur
Le célèbre architecte du XIXe siècle, Eugène Viollet-le-Duc tâtonne-t-il alors l’argument de l’erreur possible puisque selon lui :
"Les églises qui présentent cette déviation dans leur axe sont toutes bâties à la fin du XIIe siècle ou au commencement du XIIIe ; on les construisait partiellement sur l’emplacement d’églises déjà existantes (...) Nous sommes donc disposés à penser que ces déviations des chœurs de nos églises proviennent d’erreurs, inévitables alors, dans la plantation de monuments construits à deux reprises".
D’autres que lui évoqueront la configuration du terrain, l’urbanisme naissant, l’utilisation de boussoles or le Nord magnétique se décale ou encore la proximité des cours d’eau. Autant de raisons propre à désaxer les églises, cathédrales et autres abbatiales mais qui ne sont pas des réponses sans appel.
Quelques cathédrales désaxées
Voilà une liste bien loin d’être exhaustive. La cathédrale Saint-Corentin de Quimper avec son plan en croix latine dévie vers la gauche de l'ordre de 10 degrés de l'axe du chœur par rapport à la nef. Notre-Dame de Paris elle-même incline très légèrement vers la gauche. La cathédrale Notre-Dame de Laon a elle aussi un chœur un peu désaxé par rapport à sa nef. La cathédrale Saint-Pierre en Tarentaise possède "des anomalies en divers points de son tracé qui forment autant d’indices sur les remaniements qui ont affecté la cathédrale : chevet et transept présentent un schéma général désaxé vers le nord-est".
À Nevers c’est la cathédrale Saint-Cyr et Sainte-Julitte qui a une implantation "légèrement désaxée par rapport à l’axe principale". Plus au Sud, la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse possède elle aussi une nef désaxée et ce serait dû pour sa part à une "succession de partis architecturaux distincts et indépendants des campagnes de construction précédentes, s'échelonnant entre le XIe et le XXe siècle". Et puis pour n’en citer qu’une, l’abbatiale Notre-Dame de Fontgombault dans l’Indre dont l’architecture est romane avec un plan en forme de croix latine est orienté, comme la plupart des églises chrétiennes, au sud-est vers Jérusalem et son chœur est là aussi quelque peu désaxé sur la gauche. Et pour chacune, rien de précis dans la littérature archéologique qui puisse expliquer ces déviations architecturales.