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Josef Ratzinger raconte que lorsqu’il était vicaire à Munich, il avait été stupéfait d’entendre Romano Guardini affirmer lors d’une conférence que lorsqu’on vieillit, la foi ne devient pas plus facile, mais plus difficile. Guardini avait alors environ 70 ans, dit Ratzinger. Il était, quoique clerc, à la tristesse enclin. La vieillesse est pour chacun de nous, même quand nous sommes un théologien reconnu, une épreuve de l’âme. Quand nos forces déclinent, nous mesurons davantage à quel point notre foi n’est pas naturelle. La foi est un don de Dieu mais aussi le résultat de notre propre travail. Avec les années, les objections au Salut s’accumulent : la paresse spirituelle des années actives finit pas se payer.
Les saints sont des artistes
Blaise Pascal, qui n’a jamais su ce que c’est que d’être vieux, l’avait compris : il faut incliner l’automate. Si la foi allait de soi, le Christ n’aurait jamais dit : "Je suis le chemin." Et Léonard Cohen n’aurait jamais écrit : "Seigneur, je porte mon doute au pied de ta miséricorde." Un chemin est par définition un espace bordé de dangers sur lequel nous faisons l’effort d’avancer. Nos maîtres spirituels sont comme des artisans dont nous serions les élèves. Ils ne parlent pas de choses sublimes, mais de la réalité, d’horaires, d’accidents, d’outils, de planches et d’établis. Je me rappelle un moine qui me disait que le secret de la vie monastique tenait dans trois exigences : savoir manger, digérer paisiblement et bien dormir. Il se refusait à parler de la révélation spirituelle, seul le travail lui importait. Je trouvais cela bien provoquant. Mais je vois les choses autrement depuis que j’ai compris que les saints sont des artistes.
Qu’est-ce qu’un artiste ? Si vous interrogez un romancier sur son art, l’auteur médiocre vous répondra qu’il laisse ses personnages aller où ils veulent et qu’il ne fait que les suivre. Le petit poète prétend ne se fier qu’à son inspiration. Ah ! l’inspiration, l’idée révélée… Au contraire, un grand écrivain ne vous parlera pas d’inspiration. Il vous répondra comme aurait répondu Proust, Bach ou Van Gogh : il vous parlera de la technique.
Un travail de forçat
Il vous expliquera la matière, le labeur solitaire et cette terrible ascèse qui est le travail d’un artiste. Proust qui a sacrifié sa vie à son œuvre ne vous aurait pas parlé de la petite madeleine ni d’Albertine, mais de ses paperoles, de sa diététique et du soutien logistique de Céleste sans lequel il n’aurait pu tenir bon dans sa redoutable vocation. Bach ne vous aurait rien dit de l’ange qui lui soufflait un thème sublime : il vous aurait parlé de solfège, de contrepoint et de la difficulté à faire tenir ensemble les notes d’une fugue ainsi que les registres d’un ensemble de musiciens inégaux en âge, en désir et en talent. Il vous aurait dit la violence qu’il faut se faire à soi-même pour se mettre au clavier malgré les engelures.
Van Gogh vous aurait parlé du casse-tête à résoudre pour se procurer une bonne toile pas trop chère, un bon pinceau, une peinture à l’huile pas trop fluide et du défi de tenir un planning sans sacrifier aux lois d’harmonie qu’on s’est fixées. Aucun de ces grands créateurs ne vous aurait parlé de son inspiration, car son inspiration, son œuvre la révèle. Les grands artistes n’ont pas besoin de dire comme le poète amateur : je suis inspiré. Et c’est pourquoi nous croyons, en lisant Proust, en écoutant Bach ou en contemplant Van Gogh, qu’ils expriment des choses simples et évidentes quand pour eux, elles n’étaient ni simples ni évidentes à énoncer. De son roman le plus fluide, texte qui coule de source de manière presque enfantine, La Mare au Diable, George Sand disait qu’elle avait pour l’écrire fait des efforts de terrassier. L’écrivain est un laboureur dans les bons jours et plus souvent un terrassier. Les thèmes les plus sublimes de Bach sont les plus naturels et les plus simples en apparence : ils sont nés d’un travail de forçat dans l’urgence de respecter une commande.
Cultiver notre volonté
Je me méfie des auteurs qui, si vous les interrogez, vous racontent qu’ils ne font que chanter comme un oiseau. Je préfère ceux qui avouent la souffrance qu’ils s’infligent pour aligner trois mots. Douleur, que d’accrocher comme on peut une phrase à une autre, d’atteler les wagons, de faire des paragraphes, des chapitres, des livres qui racontent une histoire à laquelle nous croyons et qui nous rend meilleur. Les artistes se contraignent à croire que ce qu’ils expriment a besoin d’être exprimé, quand une petite voix leur répétait que tout ce travail est du temps perdu. Notre vie spirituelle obéit à la même loi. Il nous faut cultiver notre volonté de croire. Il nous faut travailler. Le religieux qui récite son chapelet est comme Bach qui fait ses gammes. La même petite voix lui susurre qu’il perd son temps. Mais lui non plus ne se laisse pas divertir. La foi, comme l’amour, nous n’imaginons pas à quel point elle a besoin de notre volonté pour naître et pour grandir. "Je crois Seigneur, viens au secours de mon incrédulité." Nous sommes l’homme de la foule qui travaille. Nous lisons la parole de Dieu qui parfois nous parle et souvent ne nous dit rien. Mais nous ne lâchons pas, parce que nous croyons de toute notre volonté que Lui ne nous abandonne pas.