Archevêque émérite de Bordeaux depuis 2019, le cardinal Ricard a été rattrapé par un scandale d'abus qu'il a lui-même révélé au grand public en novembre 2022. « Il y a 35 ans, alors que j’étais curé, je me suis conduit de façon répréhensible avec une jeune fille de 14 ans », écrit-il dans un message lu le 7 novembre 2022 par le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, dans une conférence de presse improvisée au beau milieu de l'assemblée plénière des évêques à Lourdes. Quatre jours plus tard, le Vatican, qui avait pourtant été informé de l'affaire auparavant, décide d'ouvrir une enquête préliminaire. Ces révélations, qui viennent éclabousser l'épiscopat français et la Curie romaine, jettent le trouble sur le parcours de cet évêque qui fut élu à deux reprises à la tête de la Conférence des évêques de France, de 2001 à 2007.
Jean-Pierre Ricard est né le 25 septembre 1944 à Marseille, ville où son père était secrétaire général de la Chambre de commerce et d'industrie. C'est à seulement 18 ans qu'il entre au séminaire de Marseille. Après son cycle de philosophie, il fait une pause d'un an pour effectuer son service national en tant que coopérant à Bamako, au Mali. Il part ensuite pour Paris où il entre au séminaire des Carmes et effectue ses études de théologie à l'Institut catholique de Paris. Il est ordonné prêtre pour le diocèse de Marseille en 1968, dans une période de profonde remise en cause de l'institution ecclésiale et du ministère sacerdotal. Conscient de cette crise de l'Église, il voit toutefois des raisons d'espérer avec le déploiement de l'esprit du Concile Vatican II. Le cardinal Robert Coffy, archevêque de Marseille, le choisit comme vicaire général en 1988, année où il est aussi secrétaire général du synode diocésain.
Un comportement qui restera secret
D'après les révélations qu'il a lui même apportées à l'automne 2022, c'est un an avant sa nomination en tant que vicaire général que Jean-Pierre Ricard s'est conduit de façon « répréhensible » avec une jeune fille de 14 ans, alors qu'il était curé à Marseille de la paroisse Sainte-Marguerite (1981-1988). Un comportement qui restera secret. En 1993, Jean-Paul II le nomme évêque auxiliaire de Grenoble, diocèse dans lequel il reste 3 ans. Il est ensuite nommé en juin 1996 évêque coadjuteur de Mgr Louis Boffet, archevêque de Montpellier, et lui succède quelques semaines plus tard. C'est en 2001 que le pontife polonais le désigne pour être archevêque de Bordeaux et évêque de Bazas. L'année suivante, il est nommé membre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Celui qui est vice-président de la CEF depuis 1999 est élu à sa tête en 2001 puis renouvelé en 2004 pour un mandat de 3 ans. Le Méridional y est reconnu pour ses qualités d'écoute et de synthèse.
Attentif aux questions de bioéthique, à la défense de la famille ou bien des personnes migrantes, cet évêque à la faconde marseillaise est apprécié de ses prêtres ainsi que des politiques qu'il rencontre du fait de ses fonctions à la CEF. Il monte parfois au créneau pour rappeler la parole de l'Église, comme en 2006, où il fait savoir son scepticisme devant un projet de loi sur l'immigration présenté par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur.
Engagé dans le dialogue avec les lefebvristes
Dans une Église de France où domine encore la figure du cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris de 1981 à 2005, le nom de Mgr Ricard – à la personnalité moins clivante – est évoqué pour lui succéder. C'est finalement Mgr André Vingt-Trois qui est choisi pour la capitale mais l'archevêque de Bordeaux obtient la barrette cardinalice dès le premier consistoire convoqué par Benoît XVI, en 2006. Les deux hommes se connaissent puisqu'ils ont travaillé ensemble : le pontife allemand était encore préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi quand le Marseillais fut nommé membre de la congrégation en 2002. Cette même année, Jean-Pierre Ricard avait également été nommé membre de la commission pontificale Ecclesia Dei, l'instance chargée du dialogue avec la Fraternité Saint-Pie-X.
Il est d'ailleurs partie prenante pour mener à bien les discussions entre les lefebvristes et Rome. En 2007, il reconnaît l'Institut du Bon Pasteur et confie une des églises de Bordeaux à cette communauté censée faire retourner les disciples de Mgr Lefebvre dans le giron de l'Église catholique. Lorsque Benoît XVI promulgue la même année Summorum Pontificum - Motu proprio libéralisant l'usage de la forme du rite tridentin –, il doit apaiser les craintes de catholiques français – dont des évêques - qui estiment que Rome rogne sur les avancées du Concile Vatican II. Il confirme par ailleurs avoir travaillé le texte au sein de la commission Ecclesia Dei. Vice-président du Conseil des conférences épiscopales d’Europe de 2006 à 2011, il participe en 2013 au conclave qui place le cardinal Bergoglio sur le trône de Pierre. Il est nommé par le pape François membre du Conseil pour l’Économie, conduit par le cardinal Marx. C'est à ce titre qu'il accompagne la vaste réforme qui doit assainir les finances vaticanes.
Une retraite perturbée
Âgé de 75 ans, le cardinal voit sa démission acceptée rapidement par le pape François. Le prélat aurait pu continuer quelques temps encore, comme c'est le cas pour bon nombre de cardinaux, mais le cardinal, après avoir passé 18 ans en Gironde, considère que son diocèse – qui vient de vivre un synode – a besoin de renouvellement. La fin de sa mission à Bordeaux est marquée par la fermeture du séminaire en 2019, en raison du trop faible nombre de candidats. Le cardinal Ricard annonce se retirer dans les Alpes-de-Haute-Provence pour se mettre à la disposition de l'évêque de Digne et retrouver un ministère paroissial.
Début 2022, Rome le nomme délégué pontifical pour prendre le gouvernement temporaire des Foyers de Charité, alors secoués par une grave crise interne liée notamment aux révélations concernant d'éventuels abus du père George Finet, qui avait accompagné Marthe Robin dans la fondation de l'œuvre. Le cardinal Ricard accepte la mission mais présente sa démission un mois plus tard, mettant en avant des ennuis de santé. On apprendra par la suite que la jeune fille qui avait été abusée par Jean-Pierre Ricard à la fin des années 1980 n'a pas supporté de voir en 2022 le cardinal être mandaté par le Vatican pour faire la lumière sur une affaire d'abus. C'est elle qui a pris contact avec des responsables de l’Église en France qui ont alors fait en sorte de pousser l'ancien archevêque de Bordeaux à renoncer à sa mission au sein des Foyers de Charité.
En février 2022, la tête de la CEF, l'archevêque de Marseille, Mgr Jean-Marc Aveline et le Saint-Siège sont donc tous informés de la situation du cardinal français. Celui-ci participe tout de même aux réunions des cardinaux convoquées par le pape François à la fin du mois d'août. Il est même choisi comme rapporteur d’un groupe linguistique. En novembre de la même année, alors que vient d'éclater l'affaire Santier, le cardinal Ricard transmet ses aveux aux évêques de France rassemblés à Lourdes en assemblée plénière. C'est le président de la CEF, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, qui convoque une conférence de presse et annonce la nouvelle aux médias. Dans la foulée, le Vatican décide d’ouvrir une enquête préliminaire alors que, sur le plan civil, le parquet de Marseille a également ouvert une enquête préliminaire après un signalement effectué le 24 octobre par l’évêque de Nice, Mgr Jean-Philippe Nault. Cette enquête est classée sans suite en février 2023 en raison de la prescription des faits.
À l’issue du procès canonique initié en novembre 2022 par le dicastère pour la Doctrine de la foi, le cardinal Jean-Pierre Ricard est suspendu au printemps 2023 de tout ministère public pour une période de cinq ans, mais demeure prêtre et cardinal. Il peut continuer à célébrer la messe en privé, seul ou avec une personne. Une disposition prévoit qu’il puisse par ailleurs, par dérogation de l’évêque du diocèse dans lequel il réside, être amené à participer à des célébrations. Retiré alors dans le diocèse de Digne, il n’y exerce toutefois plus de ministère.
123 cardinaux électeurs
Au lendemain du 25 septembre, le collège cardinalice comptera au total 122 électeurs et 114 non-électeurs. Le prochain cardinal à quitter le collège des cardinaux électeurs sera le cardinal vénézuélien Baltazar Porras Cardozo, archevêque émérite de Caracas, qui fêtera son 80e anniversaire le 10 octobre.