Après l’Indonésie et la Papouasie, François a achevé son périple asiatique par trois jours passés à Singapour, qui avait reçu la visite de Jean-Paul II en 1987. À bien des égards, Singapour est un cas unique en Asie, illustrant les défis du catholicisme dans cette région du monde. Ancienne colonie britannique intégrée dans la Malaisie, c’est en 1965 que Singapour fait sécession et obtient son indépendance, sous la conduite de son père fondateur Lee Kuan Yew (1923-2015), qui gouverna la cité de 1959 à 1990.
Un christianisme bien implanté
Singapour est une cité chinoise au sein du monde malais. Lui-même chinois, Lee Kuan Yew a encouragé l’immigration chinoise à Singapour, ceux-ci représentant aujourd'hui près de 70% de la population totale. Un monde chinois qui s’oppose au monde malais, musulman, et qui a axé son développement sur les activités portuaires et financières, Singapour étant située aux carrefours des routes commerciales de l’Asie du Sud-est. La cité a connu un développement sans précédent depuis les années 1960, la plaçant loin devant ses voisins, notamment la Malaisie et l’Indonésie. C’est donc un pays aux conditions économiques et sociales très différent de la Papouasie et de l’Indonésie que François a visité. Des conditions sociales autres, mais aussi des conditions religieuses spécifiques.
Le christianisme n’est pas un dissolvant des États, comme le craint le régime de Pékin, ni un danger pour les autorités politiques.
L’un des axes du voyage de François fut l’insistance sur le dialogue interreligieux. Un thème essentiel en Indonésie, où les catholiques du Timor oriental furent longtemps persécutés, mais aussi en Papouasie. À Singapour, les enjeux sont différents. L’islam malais est très minoritaire. Le christianisme, qu’il soit protestant ou catholique, est bien implanté et dispose d’une présence de plusieurs siècles. On y trouve, comme souvent en Asie, de nombreux Philippins, qui apportent avec eux leurs pratiques religieuses, contribuant à dynamiser les églises catholiques. Mais surtout, Singapour est une ville chinoise, peuplée de Chinois, dans un monde culturel chinois. Venir à Singapour, à défaut de pouvoir se rendre en Chine, c’est venir dans le monde chinois.
Le catholicisme en terre chinoise
Après son voyage en Mongolie, où François était aux portes de la Chine, il se place cette fois-ci dans le monde chinois qu’il affectionne, sans susciter d’opposition de pouvoir avec Pékin. Du fait de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, François ne peut plus se rendre dans cette ville, comme autrefois Paul VI. Il ne peut pas non plus se rendre à Taïwan, ce qui serait un casus belli pour Pékin. Mais à Singapour, le voyage est libre. Et, tout en délivrant un message à la population de Singapour, c’est bien vers la Chine que François s’est tourné, en réitérant son désir de s’y rendre et en réaffirmant qu’il apprécie ce pays et qu’il le respecte. En parlant aux Chinois de Singapour et en célébrant une messe dans cette cité, François démontre aussi que le catholicisme n’est pas incompatible avec la culture chinoise et que la pratique du christianisme n’est pas non plus contradictoire avec l’affection que l’on peut porter à son pays. Le christianisme n’est pas un dissolvant des États, comme le craint le régime de Pékin, ni un danger pour les autorités politiques.
Un message pour Pékin
À Singapour, les chrétiens sont fidèles à leur gouvernement, ils aiment et défendent leur cité, ils œuvrent pour le bien commun, notamment via les nombreux services sociaux dans les hôpitaux, les écoles, l’accueil des plus pauvres. C’est bien cette image-là que François a voulu mettre en avant, pour envoyer un message à Pékin et ainsi l’encourager à desserrer la main de fer qui étouffe les catholiques chinois. Dans cette Asie qu’il a largement quadrillée depuis le début de son pontificat, François a encerclé la Chine au cours de ses nombreux voyages, sans jamais pouvoir parvenir à y poser le pied. Il ne désespère pas de pouvoir le faire un jour, sinon l’un de ses successeurs. François aura ainsi été un précurseur, avec les nombreux messages qu’il délivre à Pékin depuis qu’il est devenu pape.