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Des chrétiens peuvent-ils ne pas être d’accord politiquement ?

DEBAT
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Philippe de Saint-Germain - publié le 03/07/24
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Des chrétiens qui manifestent leur opposition à un parti politique soutenu par d’autres chrétiens, est-ce légitime ? Pour l’Église, il ne peut y avoir de pluralisme moral, mais il y a un pluralisme politique légitime entre chrétiens, dès lors que celui-ci se pratique dans le respect de l’adversaire.

Les catholiques réguliers ont confirmé au premier tour des élections législatives 2024 la pluralité de leurs préférences politiques, avec à nouveau une nette orientation vers les listes de droite. Selon leurs intentions de vote, 13% d’entre eux ont choisi le Nouveau Front populaire et 21% les candidats du camp présidentiel. Les candidats Les Républicains ont attiré 20% des catholiques et ceux du Rassemblement national 37% d’entre eux (Enquête Ipsos, 27-28 juin). Ces différences peuvent apparaître regrettables, l’unité d’action étant un  principe d’efficacité politique élémentaire, mais la responsabilité du chrétien dans la cité n’est pas soumise à des résultats. En aucune manière, sa mission dans la cité est de transformer l’Évangile en système politique.

Un pluralisme légitime

Pour autant, tout chrétien a le droit et le devoir de servir le bien commun. Les décisions qui peuvent être les siennes dans l’exercice de ses responsabilités, qu’il soit élu ou électeur, relèvent de son propre jugement et de sa raison. L’engagement politique du chrétien n’est pas un engagement confessionnel : il n’engage pas l’Église. Il se doit seulement d’être cohérent avec sa conscience, et en l’occurrence, puisqu’il est chrétien, avec les principes dont l’Église reconnaît qu’ils sont les fondements d’une société libre et digne de l’homme.

Le droit du catholique à s’exprimer dans la société politique fait l’objet d’une série de critiques de la part du camp laïque.

Ces principes, l’Église les soutient dans sa doctrine sociale, non en tant que principes religieux, mais en tant que principes humains, éthiques, universels. Dès lors, les choix, les décisions politiques du chrétien sur les moyens à promouvoir et à mettre en œuvre pour appliquer ces principes relèvent de sa liberté et peuvent faire l’objet, entre chrétiens, d’options différentes selon le jugement pratique de chacun dans l’évaluation des moyens et des circonstances, par définition contingents. Autrement dit, pour le chrétien, il n’y pas de pluralisme moral — les principes sont communs — mais il y a un pluralisme politique. C’est pour cette raison que l’Église n’est pas favorable aux partis chrétiens, comme l’a rappelé le pape François (30 avril 2015), qui auraient tendance à enfermer les chrétiens à la fois dans une logique de système exclusif et diviseur, mais aussi à encourager la confusion entre appartenance religieuse et appartenance politique, le jugement politique ne pouvant être que relatif. 

La critique laïque

Le droit du catholique à s’exprimer dans la société politique en tant que catholique fait l’objet d’une première série de critiques de la part du camp laïque qui s’obstine à confondre dans la pensée de l’Église ce qu’elle a toujours distingué : le spirituel et le temporel (c’est même elle qui a inventé cette distinction !). Pour les laïcistes, toute expression politique catholique est une ingérence du spirituel dans le temporel : dominés qu’ils sont par leur dogmatisme relativiste, ils ne supportent pas la référence à des principes universels auxquels les décisions politiques peuvent se rattacher. Pour eux, le bien et le mal sont relatifs et le recours à des valeurs qui précèdent la République et le fonctionnement démocratique sont du fascisme à l’état pur. D’où le péché suprême du chrétien qui, par son existence même dans le débat public, est une menace pour la démocratie qui est une éthique par elle-même.

Une critique chrétienne déplacée

La deuxième série de critiques vient des chrétiens qui n’acceptent pas qu’on puisse être un chrétien politiquement différent. Leur christianisme ne se pense que sous la forme d’un christianisme politique exclusif. Être un bon ou un mauvais chrétien est une chose : c’est une affaire de conscience qu’il convient de respecter. Qu’il ne réponde pas publiquement à la cohérence à laquelle il est invité en tant que chrétien qui s’engage dans ses responsabilités en est une autre. Car il y a deux débats : l’un sur sa fidélité ou sa cohérence à l’égard des principes dont il se recommande (par exemple sur sa conception de la dignité de la personne, sur le respect de la vie, sur l’accueil de l’étranger) et l’autre sur les moyens qu’il choisit ou qu’il soutient pour les mettre en application selon son appréciation des circonstances.

Respecter son adversaire

Ce pluralisme politique peut poser des difficultés quand il est compris non comme une liberté légitime, mais comme un obstacle à la réalisation de ses choix stratégiques, considérées comme des absolus. Si les catholiques se retrouvent historiquement dans le soutien aux formations politiques modérées, c’est que celles-ci conçoivent la paix civile comme une condition primordiale du bien commun et le débat comme une condition de la démocratie, qui suppose un vrai respect de son adversaire politique, a fortiori si celui-ci est animé par les mêmes principes. 

Cela suppose aussi une conception de la politique qui ne fait pas de la politique un moralisme justicier entre l’empire du bien et l’empire du mal, en vue de la construction d’un monde parfait. Une approche trop partisane de l’engagement politique peut non seulement dériver vers une forme de clientélisme (la réduction idéologique ou obsessionnelle du bien commun à un intérêt particulier ou à une seule question), mais aussi vers une diabolisation systémique de l’adversaire qui transforme la politique en conflit permanent. Ce refus de la recherche du compromis raisonnable est tout simplement un refus de la politique. Pour le chrétien, l’affrontement politique a sa nécessité, mais sans jamais manquer à la mesure et à la raison, faute de sombrer dans l’idolâtrie.

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