À présent que nous connaissons le nombre des désistement pour dimanche prochain [210 annoncés, ndlr], nous pouvons davantage déduire le second tour des élections législatives des résultats du premier. La perspective de voir le Rassemblement national et ses alliés obtenir la majorité absolue s’est éloignée sans disparaître. L’hypothèse la plus probable est, plus encore qu’il y a une semaine, une forte majorité relative pour le “bloc national” et un gouvernement difficile à composer. Le blocage n’est pas exclu. Il n’empêchera pas la terre de continuer à tourner et la France de vivre. Mais le contexte, alors, évoluera très vite.
Le diable dans les détails
Cette prévisible confusion, née paradoxalement d’un vote à la fois massif en participation et clair dans ce qu’il a exprimé, sera combinée avec la formidable accélération de l’histoire que nous sommes en train de vivre. Les Français ne voudront pas avoir voté pour rien. Mais si un gouvernement Bardella arrive à se mettre en place, s’il parvient à gouverner, les Français feront l’expérience dont ils avaient envie. Ils voulaient voir, ils verront.
Las ! ils ne tarderont pas à s’apercevoir qu’il n’y a rien à voir. Car c’est une gageure que de mettre au travail un gouvernement inexpérimenté attelé à un projet bâclé dans un monde devenu sans issue. Ceux qui faisaient mine de redouter le fascisme ne mettront que quelques semaines à dénoncer l’immobilisme. Ceux qui attendaient un sursaut patriotique s’apercevront avant l’automne qu’ils se trouvent face à une sorte de néo-radical-socialisme. La montagne fachosphérique aura accouché d’une souris centriste. Les mesures économiques annoncées, dont il ne reste guère que la baisse de la TVA sur l’énergie importée, se heurteront aux directives européennes. Les mesures juridiques sur le droit du sol, qui ont le mérite de ne pas impacter le budget, se révéleront insignifiantes. Les économies budgétaires seront illusoires. Comme toujours, le diable sera dans les détails.
Les Français sont un grand peuple, mais ils ont une faiblesse séculaire : ils veulent être aimés et aussi qu’on leur fiche la paix.
Le seul espoir de ce gouvernement "patriote" (car le seul point sur lequel une évolution s’annonce est celle du vocabulaire : on remplacera l’expression punitive "extrême-droite" par celle moins infamante de "patriote") sera de réussir à plonger dans un style Giorgia Meloni : je fais comme les autres, mais j’en parle mieux. Les temps sont difficiles, mais au moins je vous aime. Avec moi, ce sera moins pire. Modeste satisfaction !
Un pays qui aspire à la paix
Mais l’accélération de l’histoire aura un autre effet : Emmanuel Macron, d’enfant immature qu’il était, pourrait virer plus tôt que prévu au vieux sage. Encore faudra-t-il qu’il manifeste du savoir-faire. S’il s’y prend bien, il peut devenir une espèce de nouveau Mitterrand de 1986. Mais il nous a habitué à s’y prendre mal. Le défi pour lui sera de s’imposer un verbe rare. S’il continue à nous infliger un torrent verbal, il hystérisera un pays qui au fond aspire à la paix : il ne tiendra pas. S’il choisit bien ses montées au filet, il pourra devenir populaire et nous pourrons voir dans quelque mois l’énorme surprise d’une opinion amoureuse du couple Macron-Bardella. N’oublions pas que sous le règne bicéphale Chirac-Jospin, les Français plébiscitaient la cohabitation : l’épée et le bouclier, en somme.
Les Français sont un grand peuple, mais ils ont une faiblesse séculaire : ils veulent être aimés et aussi qu’on leur fiche la paix. Il nous reste à espérer que les prochains gouvernements, quels qu’il soient et quel que soit leur très prévisible impuissance, manifestent à notre égard ce qui nous a tant manqué depuis sept ans : de l’empathie.