La gravité et l’urgence de la situation dans laquelle est plongé le pays, à la suite de la décision du président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale à la suite des élections européennes, oblige à sortir de "l’affect" pour analyser plus précisément les programmes proposés par les différentes formations politiques. L’ "affect" est en effet un piège nourri par la peur, que ce soit par l’emprisonnement dans nos peurs personnelles ou collectives, ou la peur utilisée par d’autres comme argument électoral en leur faveur ou contre l’adversaire.
Votons sans peur
"N’ayons pas peur !", nous redit sans cesse la Bible, ce que rappelle Mgr Bruno Valentin dans son très beau texte "Voter sans peur". L’évêque de Carcassonne et Narbonne nous invite à ne pas attendre de telle ou telle formation politique qu’elle soit un sauveur. Dieu seul nous sauve. Et aucun programme politique, quel qu’il soit, ne peut revendiquer l’exclusivité de la fidélité à l’Évangile. L’Évangile en revanche nous donne quelques références pour nous accompagner dans nos choix : la dignité de toute personne humaine, qu’elle soit un enfant à naître, un malade en fin de vie ou un migrant en demande d’assistance ou persécuté dans son pays ; la recherche du bien commun, tenant compte des enjeux écologiques, sociaux et économiques du pays ; ou encore, l’option préférentielle pour les pauvres, qui suppose de considérer les choix qui seront les meilleurs pour diminuer la pauvreté, au-delà de notre propre intérêt. Il nous revient donc d’analyser rigoureusement les programmes et de voter en conscience.
Au-delà de leurs principales différences (...) les programmes économiques des deux extrêmes présentent de nombreuses similitudes.
C’est dans ce cadre que je réfléchis comme dirigeant d’entreprise. Au-delà des raisons d’en vouloir au président Emmanuel Macron pour cette dissolution précipitée et non concertée, je souhaite m’attarder particulièrement sur le volet économique car je considère que présenter un programme économique responsable et réaliste est une condition nécessaire à l’amélioration de la situation du pays pour tous, y compris pour ceux qui n’ont pas d’emplois ou sont dans une situation précaire. Les partis politiques qui font des promesses, alors qu’ils savent pertinemment qu’elles sont intenables, sont dangereux. Ils ne feront qu’augmenter la colère dans le pays.
La situation catastrophique des finances publiques
À ce jour, le résultat de la composition de la future Assemblée nationale semble se jouer entre les deux extrêmes de l’échiquier politique : le Rassemblement national (RN), allié aux républicains d’Éric Ciotti, qui selon les sondages pourrait atteindre 30% des voix, et la coalition du Nouveau Front populaire (FP), unissant toute la gauche de l’ancien président socialiste François Hollande au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) de Philippe Poutou, qui pourrait totaliser 25 à 30% des voix. La bipolarité qui s’est installée entre ces deux extrêmes paraît s’imposer au point que l’on finit par penser qu’il n’existe plus d’alternative entre les deux pôles.
La dette française n’a jamais été aussi élevée, avec un montant de plus de 3.000 milliards d’euros, soit plus de 112% du produit intérieur brut (PIB) du pays, avec un déficit public pour 2024 estimé au-delà de -5% du PIB. La France est ainsi entrée dans le top 3 des pays ayant le ration dette publique/PIB le plus élevés de l’Union européenne. Et le coût de la dette française dépasse désormais celui de la dette du Portugal. Rien que la charge d’intérêts de la dette avoisine les 50 milliards d’euros en 2024 ! Autant dire que la situation des finances publiques est catastrophique. Il ne s’agit pas de refaire l’histoire. Beaucoup de raisons expliquent l’aggravation de la situation : crise du Covid, stagnation économique, hausse des coûts de l’énergie, guerre en Ukraine, mais aussi un manque de rigueur pour réduire les dépenses publiques malgré un certain nombre de réformes faites (allongement de la retraite) ou en cours (assurance-chômage). Tout ceci ajouté à l’incertitude politique explique pourquoi l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note de la France fin mai dernier.
Le déficit budgétaire pourrait encore s’accroître
Face à cette situation financière de la France alarmante, que proposent les deux principaux blocs en présence ? Au-delà de leurs principales différences qui concernent les relations internationales, le traitement de l’immigration et la préférence nationale dans l’attribution des logements sociaux, les programmes économiques des deux extrêmes présentent de nombreuses similitudes, générant un risque évident de détérioration de la compétitivité des entreprises et de l’emploi. Avec la suppression de la réforme des retraites en deux temps, l’augmentation du SMIC de 200 euros à 1.600 euros net, la hausse de 10% des salaires des fonctionnaires, la gratuité de l’école, le Front populaire, selon Nicolas Doze (BFM), augmenterait le déficit budgétaire de 280 milliards d’euros, compensé partiellement par un choc fiscal taxant les plus riches à hauteur complémentaire de 50 milliards d’euros. Le blocage des prix pourrait générer des pénuries.
La seule voie qui redressera la France de manière durable est celle qui permettra de réduire la dette abyssale du pays, et permettra de redistribuer ensuite une partie de cette réduction en pouvoir d’achat.
De son côté, le programme du RN prévoit l’abandon d’une partie de la réforme de la retraite, la baisse de la TVA de 20% à 5,5% sur les prix de l’énergie et les produits alimentaires, et la nationalisation des autoroutes. Si l’on en croit les analyses d’Allianz Research, ces mesures augmenteraient les dépenses de l’État d’environ 120 milliards d’euros supplémentaires (et 70 milliards si on ne tient pas compte du retour des autoroutes dans le giron public), partiellement compensé par de nouveaux impôts comme le rétablissement de l’ISF. L’arrivée au pouvoir de Jordan Bardella et l’application de ce programme économique accroîtrait encore plus le déficit public à 5,8% du PIB en 2025 et à 6,4% en 2026.
La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a publié un communiqué de mise en garde : "Quiconque engagerait des réformes coûteuses sans prendre en compte l’état des finances publiques exposerait la France à un risque majeur." L’Association française des entreprises privées (AFEP), regroupant les 117 plus grandes entreprises de France, pousse pour sa part un cri d’alarme et appelle les partis politiques à la "responsabilité budgétaire". Dans le cas de l’arrivée des extrêmes au pouvoir, "cette situation compromettrait le maintien de l’emploi et de notre modèle social auquel nous sommes tous attachés".
Réduire la dette
Face à cette alternative, n’y a-t-il pas une vraie place pour une troisième voie, rassemblant des acteurs politiques responsables déterminés à réduire les déficits et rétablir les dépenses publiques ? La seule voie qui redressera la France de manière durable est celle qui permettra de réduire la dette abyssale du pays, et permettra de redistribuer ensuite une partie de cette réduction en pouvoir d’achat.
Nous avons par nos votes la possibilité de construire un avenir durable. Plutôt que de vouloir agir "contre", ne devrions-nous pas vouloir agir "pour" l’avenir d’une France forte et influente au sein d’une Europe solide et capable de tenir sa place vis-à-vis des États-Unis, de la Russie et de la Chine, pour notre souveraineté économique, pour des entreprises compétitives et pour une économie saine capable de créer de nouveaux emplois ?