L’Église a institué le 29 mai la fête liturgique du pape saint Paul VI. Celle-ci aurait normalement dû commémorer la date de sa mort, celle de son entrée au Ciel, le 6 août 1978. Mais ce jour-là, on célèbre la fête de la Transfiguration du Seigneur. Dans sa vie spirituelle, Jean-Baptiste Montini privilégiait ce passage de l’Évangile où le Christ révèle à ses trois disciples préférés la lumière intérieure dont il est le Tabernacle vivant.
Toute sa vie, il a médité ce "son et lumière grandiose" des Écritures, selon la métaphore du théologien Bruno Chenu, comme on contemple une icône : celle de la révélation de la condition ultime qui attend chaque pèlerin terrestre ayant cru en la Lumière. Toute sa vie, il se sera exercé à ce que chacun de ses gestes, chacune de ses paroles, chacun de ses silences atteste en ce monde qu’il était un authentique témoin de la Lumière qui avait flamboyé au sommet du mont Thabor. Toute sa vie, il pria secrètement pour que le Seigneur le rappelle à Lui en ce jour béni de la fête de la Transfiguration. Sa prière fut entendue. C’est le privilège des saints de s’obstiner à prier. Non pas pour obtenir gain de cause. Mais simplement par prescience, car ils savent que Dieu tient toujours ses promesses.
Une vocation éminemment eucharistique
Pourquoi fête-t-on donc saint Paul VI le 29 mai ? Parce que c’est la date anniversaire de son ordination sacerdotale. Jean-Baptiste Montini fut ordonné prêtre le 29 mai 1920 dans la cathédrale de Brescia. À 23 ans seulement ! Il bénéficia d’une dérogation de son évêque pour pouvoir être ordonné si jeune (l’âge requis était de 24 ans). Il avait déjà bénéficié de sa faveur pour faire ses études à domicile, les rigueurs de la vie au séminaire étant incompatibles avec sa santé très fragile. Le lendemain, 30 mai, il célébra sa première messe dans la basilique Sainte-Marie-des-Grâces, toute proche de sa maison familiale à Brescia. Sa mère lui avait confectionné de ses mains une belle chasuble avec sa robe de mariée. On peut la voir aujourd’hui dans une vitrine du sanctuaire. Elle fut offerte en 2015 par le pape François dont la ferveur montinienne est maintenant de notoriété publique.
Une vie chrétienne qui se nourrit sans réserve du Pain de Vie ; mais une vie chrétienne qui se donne aussi en partage pour que le monde vive.
Pour Montini, la célébration de l’Eucharistie était, comme l’affirma le concile Vatican II, "la source et le sommet" de sa vie de baptisé, de prêtre, d’évêque puis de pontife. Quand il célébrait la messe, c’était dans son esprit, comme si elle était à la fois la première et la dernière de son existence. C’est pourquoi il aimait célébrer la messe en tout lieu, de préférence au milieu des prisonniers, des ouvriers, des malades, des populations de quartiers défavorisés. Fêter la mémoire de saint Paul VI le 29 mai, c’est ainsi se rappeler la vocation éminemment eucharistique de toute vie chrétienne. Une vie chrétienne qui se nourrit sans réserve du Pain de Vie ; mais une vie chrétienne qui se donne aussi en partage pour que le monde vive. Cette vocation lumineuse de tout baptisé est ravivée dans le calendrier, quelques jours plus tard, le 2 juin, par la fête du Saint-Sacrement.
Le pape de l’Esprit saint
Comment ne pas se souvenir aussi le 29 mai, que Paul VI fut le pape de l’Esprit saint, comme il arrive de le surnommer. "Esprit de Vérité" fut le titre de la règle de vie personnelle qu’il rédigea à l’âge de 33 ans. L’obéissance à l’Esprit ne le mettait pas en lévitation par rapport aux réalités déconcertantes du monde. Bien au contraire ! C’est embrasé par l’amour du Christ dont l’Esprit est le souffle, qu’il embrassait les joies et les peines du monde. "Mettez l’Esprit saint au sommet de votre culte !" exhorta-t-il ses auditoires durant tout son ministère. Grand ami des artistes et des poètes, saint Paul VI voyait en ces potiers du génie humain des chevau-légers pacifiques et créatifs du Saint-Esprit à l’œuvre dans l’argile humaine.
C’est embrasé par l’amour du Christ dont l’Esprit est le souffle, qu’il embrassait les joies et les peines du monde.
En 1975, le Pape accueillit à Rome 10.000 pèlerins du Renouveau charismatique catholique venus du monde entier. Dans ce phénomène spirituel alors en plein essor, il perçut "une chance pour l’Église". Une chance, c’est-à-dire une opportunité, un don, une grâce pour l’Église d’aller plus souvent boire à la claire fontaine de l’Évangile. Le chemin lui avait été en quelque sorte indiqué par son pèlerinage historique en Terre sainte du 4 au 6 janvier 1964. Depuis, un certain nombre de communautés charismatiques ont connu des épreuves et des chutes. Des scandales dans l’Église ont pu endommager la dévotion primordiale que les chrétiens doivent à l’Esprit saint. Mais comme l’amour qui "est un enfant de bohème", l’Esprit du Christ ne se laisse ni encager ni entraver : "Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit" (Jn 3, 8).
Depuis la première Pentecôte
"J’aime rappeler que c’est saint Paul VI qui a dit que l’Église d’Occident avait perdu l’idée de la synodalité, et c’est pour cette raison qu’il avait créé le secrétariat du Synode des évêques", rappelait le 4 octobre 2023, le pape François en ouvrant la première étape du Synode sur l’avenir de l’Église. S’inspirant encore de Montini, il rappelle souvent aux uns, impatients, et aux autres, récalcitrants, que le vrai protagoniste du Synode c’est l’Esprit saint. Non pas pour faire accroire que c’est lui qui met la main à la charrue, mais parce que c’est bien lui qui met de la clarté dans le regard et dans les idées ; parce que c’est lui qui met les hommes en capacité de travailler ensemble, de labourer le champ du possible et de semer ou de planter à la bonne saison.
L’Église a besoin de l’Esprit saint, en nous, en chacun de nous, en nous tous ensemble, en nous qui constituons l’Église.
Au fond depuis la première Pentecôte, et donc la naissance de l’Église, celle-ci s’évertue à écouter le vent pour savoir dans quel sens aller afin de connaître son éternelle Pentecôte. Lors d’une audience générale à Rome en 1972, saint Paul VI avait élevé une prière aux accents prophétiques. Elle rejoint en effet nos préoccupations actuelles dans ce monde troublé et dans notre Église en Europe, qu’on dirait ponctuée d’une série de points d’interrogation et de suspension : "L’Église a besoin de l’Esprit saint, en nous, en chacun de nous, en nous tous ensemble, en nous qui constituons l’Église. Oui, c’est de l’Esprit saint que l’Église a besoin aujourd’hui. Tous, dites-lui toujours : “Viens !”"