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Lettre ouverte à Delphine Levra-Juillet

Elisabeth de Courreges

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Elisabeth de Courrèges - publié le 09/05/24
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Alors que les débats en séance à l’Assemblée nationale sur le projet de loi sur la fin de vie débuteront le 27 mai, notre chroniqueuse Elisabeth de Courrèges répond à Delphine Levra-Juillet, une femme qui a accompagné jusqu’à la fin son mari William atteint de la maladie de Charcot. Ce dernier avait demandé une sédation.

En cette période de débat sur la fin de vie, alors que beaucoup de personnes dans nos entourages écrivent en ce moment à leur député, c’est à Delphine Levra-Juillet que j’ai décidé d’écrire, après avoir lu son témoignage. En apparence, nous n’avons rien en commun… Sauf une chose peut-être.

Madame,

J’ai été touchée par votre témoignage publié dans le Progrès Lyon le 27 avril dernier, dans lequel vous nous confiez avec pudeur et courage un bout de votre histoire familiale, en l’occurrence le dernier bout de la vie de votre mari, William. Etonnamment vos mots m’ont rejoint.  

Pourtant en apparence, nous n’avons rien en commun, sauf une chose peut-être.

Nous n’habitons pas la même ville, nous n'avons pas le même âge, nous ne partageons pas le même prénom. Vous êtes mariée avec trois enfants pendant que je vis en colocation. Vous avez connu et accompagné le quotidien éprouvant d’une personne atteinte de SLA (ndlr, sclérose latérale amyotrophique, ou maladie de Charcot)… moi non. Le 10 mai dernier, j’étais à Rennes et vous étiez à Bron.

Non, en apparence nous n’avons rien en commun. Sauf une chose peut-être : nous avons toutes les deux perdu un être cher ce fameux 10 mai dernier. C’était ma mère, et c’était l’homme que vous aimiez. Vous partagiez sa vie depuis 28 ans, elle m’avait donné la mienne 29 ans auparavant.

Et ce mercredi soir, peut-être que nous avons toutes les deux un peu pleuré.

Vous avez eu le courage d’être là dans les hauts et les bas, dans les larmes, les luttes et les joies, soucieuse d’accompagner votre époux jusqu’au bout. Car vous saviez que « tant qu’il était là… (…) c’était toujours la vie, la vie par-dessus tout ». Vous l’avez entouré de tendresse, vous l’avez soigné avec délicatesse, vous vous êtes appuyée sur le personnel soignant. A la suite de nombreuses complications, votre mari a demandé une sédation. Après cet accompagnement, vous considérez que le choix du moment de la mort est important.

"Nul n’en avait prédit l’instant"

De mon côté, nul n’en avait prédit l’instant. Nous nous étions tous réunis quelques jours auparavant, puis ma maman est partie, assez doucement, entourée de deux de mes sœurs, choisissant dans le silence de son agonie son jour et son heure, mystérieusement. Sans pression, sans sédation, sans appuyer sur un bouton.  

Comme vous, j’ai vécu chaque étape de la perte de ses capacités : à marcher, à communiquer, et même à raisonner.

Mais à la différence de vous, je ne soutiens pas l’aide à mourir. Car, à la différence de vous, je ne crois pas que ma mère ait vécu « tant de choses indignes ». Dans ces pertes progressives, successives et indicibles, je n’ai jamais douté de l’immense dignité de la vie qui lui restait, même quand celle-ci tenait qu’à un fil.

Je n’en doute pas aujourd’hui non plus concernant la fin de vie de votre mari. Ni du fait que vous avez été pour lui cette aide inestimable que ne remplacera aucune « aide-à-mourir » ni aucune « substance létale ».

Comme vous, je crois à la compétence des soins palliatifs et à la force de l’affection des proches dans la survenue de la mort. A la différence de vous, je crois que cela suffit.

Comme vous, je rêve souvent d’elle, et de sa mort. Comme vous, je consens difficilement à cette absence aujourd’hui. 

Mais à la différence de vous, je ne regrette rien de tout ce temps non « efficace » qu’aura duré sa fin de vie.

Je vous souhaite plein de courage à l’approche de la date anniversaire du départ de votre mari et de ma mère,

Elisabeth 

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