Dominique Ponnau est mort, ce 7 avril, pendant le dimanche de la fête de la Divine Miséricorde. À 86 ans, il s’est envolé vers le paradis blanc des artistes, en la veille de la solennité de l’Annonciation du Seigneur. Il aurait probablement vu un signe dans ce calendrier liturgique, son passage de ce monde à l'autre, entre ces deux grandes fêtes, était peut-être un indice de l'accueil qui l’attend là-haut, dans ce ciel qu’il a tant de fois contemplé en Italie, la patrie de son cœur, ou dans le golfe du Morbihan, son rivage natal : des réjouissances sans modération réservées par le Père prodigue à l’un de ses fils parmi les plus fervents, mais qui aura eu tout au long sa vie l’intime conscience d’être un infirme de l’âme, un pauvre pécheur, un amoureux ébréché de son Seigneur. Gardé par les anges de la Miséricorde et de l'Annonciation, Dominique Ponnau est parti en beauté.
Serviteur de la Beauté
Sa carrière professionnelle fut hors norme. Ce fier Breton natif de Vannes est devenu après des études à l’École normale supérieure et une agrégation de lettres classiques, un historien de l’art de haute volée, distingué par les plus hautes autorités de l’État. Il fut le conseiller précieux de plusieurs ministres de la Culture (avec un faible de sa part pour Jacques Duhamel). Des générations d’étudiants se souviennent aussi de lui — émerveillés et remplis de gratitude — à la tête de l’École du Louvre. Ce fut probablement « la » séquence préférée de son magnifique parcours : sa science de l’art et celle de la transmission pour laquelle il était excellemment doué ont pu alors faire des merveilles. Longtemps président de la Commission pour la sauvegarde et l’enrichissement du patrimoine cultuel, Dominique Ponnau fut aussi un intrépide et passionné défenseur du patrimoine religieux de la France. Il aura été un grand serviteur de l’État pour le bénéfice de l’art, de la culture, de la langue française, et au fond de la Beauté dans tous ses états et dont le mystère et le génie ont comblé toute sa vie.
Quand Dominique Ponnau entrait dans votre vie, vous deviniez que le bruit de sa voix et de ses pas ne vous quitterait plus jamais.
Dans le livre qui lui ressemble sans doute le plus, La Beauté pour sacerdoce (Presses de la Renaissance, 2004), il faisait cette confidence : "Il me semble bien qu'il existe un rapport étroit, intime plutôt, entre l'art et la foi. Mais je ne sais pas lequel. Je sais que sans l'art, sans la beauté [...], je ne serais plus là depuis longtemps." Dominique Ponnau vécut comme une sorte de frère mendiant dont la Beauté lui servait de cloître intérieur et qu'il parcourait en priant avec un immense bonheur.
Il aimait la messe tridentine
La bibliographie de Dominique Ponnau est importante et très marquée par sa connaissance et son amour de l’art. J’aurais eu pour ma part la joie d’éditer deux de ses livres aux Éditions Salvator : en 2014, France, réponds à ma triste querelle, et en 2015, Jean-Baptiste : la gloire de l’effacement. Il tenait beaucoup à ce dernier : il était né en effet un 24 juin, jour de la fête de la nativité de saint Jean-Baptiste. L'idée de cet ouvrage a jailli étrangement au croisement de deux routes du Pas-de-Calais : nous revenions tous deux en voiture de l’abbaye bénédictine de Wisques où il aimait aller assister à la messe tridentine quand il venait séjourner dans notre maison. J’étais tellement captivé par sa vision du Baptiste que je perdis le sens de ma route, mais heureusement pas le fil de mes idées puisque je le persuadais d’en faire un livre.
Dominique connaissait par cœur la Messe des Anges. Le latin était pour lui la langue céleste par excellence. Il fallait l'entendre entonner l’Exultet de Pâques ou le Puer natus est de la messe de Minuit de son enfance ! Les discussions sur la liturgie pouvaient être vives avec lui, mais jamais elles ne franchissaient le Rubicon de la colère et de la fâcherie. Sa grande intelligence et sa tendresse naturelle l’emportaient sans faille sur ses emportements. Tel il était : entier, solennel, profond, empathique et immensément bon et généreux. Durant les bons repas qu'il affectionnait, sa belle simplicité et son humeur jovial régalaient les convives. Quand Dominique Ponnau entrait dans votre vie, vous deviniez que le bruit de sa voix et de ses pas ne vous quitterait plus jamais.
Sentinelle de l’éternité
Et c’est ce qui se passe maintenant qu’il s'en est allé. Dominique fait partie de ces sentinelles de l’éternité : de leur vivant on les croit éternelles. Et quand elles ne sont plus présentes, elles pénètrent plus que jamais dans vos songes ; elles habitent plus que jamais vos souvenirs. Elles ne vous quittent plus. Et elles vous gardent avec affection.
Je n’évoquerai de lui ici que trois souvenirs personnels qui dessinent un peu son portrait, son profil intérieur, celui qu’il ne pouvait occulter sous les nombreux titres et qualités prestigieux que lui valaient sa renommée et son expérience. Non content de lui avoir confié une chronique dans Témoignage chrétien — ce qui m’avait valu quelques sarcasmes sur ma gauche ! — je lui avais demandé d’accompagner avec un évêque, un rabbin, un pasteur et un représentant de l’islam les trois voyages interreligieux pour la paix que j’avais organisés en 2004-2005 avec Hubert Debbasch, alors directeur de l'agence de voyages Terre Entière, en Israël et en Palestine : 600 pèlerins français purent y participer. Comment oublier la voix de Dominique Ponnau résonner dans le silence du désert du Néguev ou encore son écho dans l’église Sainte-Anne de la vieille ville de Jérusalem !
Dans l’âme et le mystère de l’œuvre
Deuxième souvenir, pour le huit centième anniversaire de la naissance du roi saint Louis, en 2014, dans la petite église de mon village du Pas-de-Calais qui lui est dédiée, nous avions organisé une soirée alternant des lectures et de la musique. Dominique et moi nous lisions des passages de la vie de saint Louis. Je me souviens avec quelle assiduité avant le spectacle il avait lu et relu les textes pour se les approprier et pouvoir les lire sans presque devoir jeter un œil sur ses feuilles. L’exigence, la qualité, le souci du travail bien fait : c’était aussi la signature de Dominique Ponnau.
Son extrême sensibilité était la pointe, toujours pudique, de sa charité. Cette sensibilité du geste n’est-elle pas l'une des plus belles marques de l’amitié ?
En 2016, Dominique nous fit le cadeau à ma femme et à moi de nous emmener au Louvre à Paris pour visiter avec lui quelques chefs-d’œuvres picturaux des primitifs médiévaux. Nous passâmes toute une matinée à décrypter seulement quatre tableaux ! Notre guide était en effet intarissable, et nous étions comme suspendus à ses lèvres et émerveillés par ce qu'il nous faisait découvrir. Mais le plus extraordinaire, ce n’était pas d’être abreuvé de renseignements tous plus intéressants les uns que les autres sur l’artiste et sa composition, mais c’était d’être introduit dans l’âme et le mystère de l'œuvre qui prenait soudain vie sous nos yeux par le truchement de sa parole. Dominique cultivait comme par instinct l’art de la beauté du geste. Son extrême sensibilité était la pointe, toujours pudique, de sa charité. Cette sensibilité du geste n’est-elle pas l'une des plus belles marques de l’amitié ? Quand le regard de Dominique Ponnau vous couvait vous aviez l’impression d’être deviné au plus profond de vous-même. Et en même temps, on se sentait protégé par un manteau de tendresse.
La part intime du disciple
Encore un souvenir de cet homme attaché aux traditions de ses pères et en même temps à l'avant-garde de tant de choses visibles et invisibles ! Un soir, il nous avait emmenés dans un quartier populaire de la gare du Nord. Dominique était partageur et il aimait faire se rencontrer ses amis. Il nous introduisit ainsi dans une communauté des Petites Sœurs de Jésus. Dans une ambiance simple et joyeuse, nous avons prié dans leur oratoire, puis dîné et échangé avec ces femmes qui passaient leurs journées à soigner, consoler, soulager la misère du monde dans la plus totale discrétion. Ce soir-là nous a révélé un peu cette part intime du disciple énamouré du Christ que Dominique Ponnau fut durant toute sa vie.
Chacun de nous est une pierre précieuse sur cette terre. Mais certaines d’entre elles brillent d’un feu dont on ne se remet pas de ne plus voir l’éclat. Elles nous manquent à peine se sont-elles éteintes... Mais n’est-ce pas ainsi que se creuse le désir de se retrouver un jour, avec tous celles et ceux qui nous ont appris à faire de la Beauté, l’axe de notre vie ?
Pratique