Elle est toute petite cette enfant. Sa main dans celle de sa grand-mère, elle avance tranquillement. Ses petites jambes l’élancent parfois à la poursuite d’un pigeon distrait ou à la recherche du rayon de soleil perdu dans une flaque d’eau. Mais elle revient toujours, saisissant la main plus haute qu’elle et s’y raccrochant pour mieux avancer dans ce grand parc du centre-ville. Soudain, elle lève la tête et lui dit : « Samedi prochain, on va au baptême de mon cousin. J’ai jamais été à un baptême encore... Et puis, tu sais, Papa et Maman m’ont dit qu’on allait bientôt baptiser ma petite-sœur... Moi aussi j’ai été baptisée ? — Bien sûr, lui répond sa grand-mère, tu l’as été quand tu étais encore un bébé. — Mais ça veut dire quoi être baptisée ? »
L’adulte commence une petite catéchèse en cherchant des mots simples et justes pour tenter de décrire l’indicible. Soudait, l’enfant s’arrête net : « Ah non, ça alors je ne veux pas qu’elle soit baptisée ! » Devant le regard incrédule que son refus suscite, elle poursuit : « Tu viens de dire qu’elle allait devenir enfant de Dieu, il n’en est pas question, c’est notre bébé ! » Les jours passent, raisonnant de cette révolte sourde.
Ami de Jésus
Le lendemain du baptême du cousin, la petite retrouve sa grand-mère et accourt en se jetant dans ses jambes : « Tu sais, maintenant je suis d’accord pour que ma petite sœur soit baptisée ! Le prêtre, hier, il a dit que le baptême nous faisait devenir “ami de Jésus”. Alors si c’est vrai, moi je suis d’accord pour que ma sœur elle soit aussi amie de Jésus ! » L’anecdote est charmante comme une parole d’enfant.
Il nous faut rester humble devant cet afflux de nouveaux baptisés. Et profondément reconnaissant aussi. Car ils nous sont donnés pour renouveler nos communautés souvent un peu installées et pour tout dire embourgeoisées.
Dans la nuit de Pâques, des milliers d’adultes ont reçu les sacrements de l’initiation chrétienne. Des milliers d’enfants, de bébés, seront baptisés tout au long de ce beau temps pascal. Nous ne pouvons que nous réjouir de ces chiffres qui progressent. Non pas comme un gérant sourit à la vue des courbes qui augmentent. Il nous faudrait être bien inconscient pour revendiquer le moindre mérite à cela : souvent les raisons qui mènent l’adulte au baptême débordent largement nos projets pastoraux et nos initiatives évangélisatrices, même si l’un et l’autre peuvent y contribuer. De même que nos témoignages agissent à notre insu dans le cœur de ceux qui nous rencontrent, comme le montre la petite phrase du prêtre qui n’imaginait pas ce que ses mots « amis de Jésus » allaient avoir d’apaisant dans l’âme d’une petite fille de 3 ou 4 ans...
Rester humble devant ces nouveaux baptisés
Il nous faut rester humble devant cet afflux de nouveaux baptisés. Et profondément reconnaissant aussi. Car ils nous sont donnés pour renouveler nos communautés souvent un peu installées et pour tout dire embourgeoisées. Ils ne viennent pas à nous comme on adhère à un club select. Or, trop souvent, nous pouvons donner l’impression qu’ils ne peuvent prendre part à notre assemblée qu’à la condition qu’ils adoptent nos codes et nos habitudes. Nous leur disons implicitement : « Bienvenue, désormais vous pouvez vous associer à nous », alors qu’ils nous sont donnés par le Christ comme nous-mêmes leur sommes donnés.
En chaque néophyte, le Seigneur nous apparaît, un peu différent de ce à quoi nous nous étions habitués.
Il s’agit d’une rencontre au sens le plus fort du terme : où chacun doit aussi prendre la mesure de l’autre, de ses attentes, de ses dons, de ses charismes, de ses désirs. Chacun, nous sommes appelés par le Seigneur non pour former l’armée des clones mais pour rechercher ensemble à faire la volonté du Père, dont l’Évangile nous dit explicitement qu’elle consiste à nous aimer les uns les autres comme Jésus nous a aimés.
À chaque baptême, une révolution
Chaque nuit de Pâques devrait être vécue comme une révolution profonde de nos communautés : à chaque baptême, un bouleversement se produit qui nous oblige à réfléchir à la manière dont nous mettons ou non ce commandement en pratique. En chaque néophyte, le Seigneur nous apparaît, un peu différent de ce à quoi nous nous étions habitués. Comme pour nous dire à chaque fois de ne surtout pas nous installer dans les tombeaux de nos routines, de nos craintes et de nos conformismes.