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Le pape François croit-il en la ‘guerre juste’ ?

UKRAINIAN-MEMORIAL-KIEV-AFP

Une femme se recueillant devant un mémorial en hommage au soldats ukrainiens morts au combat, Kiev (Ukraine), février 2024.

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Cyprien Viet - publié le 13/03/24
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Les récentes déclarations du pape François, dans un entretien à la télévision suisse RSI, dans lesquelles il semblait appeler les Ukrainiens à hisser le "drapeau blanc" face à la Russie, ont suscité un tollé et une crise diplomatique entre l’Ukraine et le Saint-Siège. Cet appel à la paix traduit-il un abandon par le pape et le Saint-Siège de la doctrine de la ‘guerre juste’ ? Éléments de réponse.

Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, en février 2022, le pape François n’a cessé d’appeler à la paix, allant jusqu’à affirmer, lors d’un discours à une fondation pour l’éducation, le 18 mars 2022, qu’il "n’existe pas de guerre juste". Son positionnement, généralement mal reçu en Ukraine où le Pape est perçu comme trop conciliant avec Moscou, se veut en réalité une condamnation de principe vis-à-vis de toute guerre, y compris, donc, l’offensive russe. Son positionnement, que beaucoup attribuent à un prisme anti-occidental lié à son origine argentine, est le fruit d’une maturation progressive de la réflexion chrétienne sur la légitimité des interventions militaires. 

La doctrine dite de la ‘guerre juste’ est une notion traditionnelle de la philosophie laïque comme chrétienne. Autour de l’an mil, la chrétienté médiévale institue notamment le principe de la ‘Trêve de Dieu’, établissant des périodes de suspension des combats autour des fêtes religieuses, et ouvrant la voie à une forme de régulation des conflits armés. Au XIIIe siècle, saint Thomas d’Aquin établit des critères de discernement pour évaluer le caractère moral d’une action militaire, notamment la prise de responsabilité de la déclaration de guerre par la puissance publique et non par des acteurs individuels, ou encore le souci de faire triompher le bien commun, sans agenda caché.

Quelques siècles plus tard, le traumatisme des deux guerres mondiales et le développement du droit international conduiront progressivement l’Église catholique à déclarer la guerre hors la loi. Lors du Concile Vatican II, la Constitution Gaudium et Spes stipule, en son article 80 : "Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation." 

Dans son encyclique de 2020, Fratelli tutti, le pape François se situe dans la continuité de l’opposition de Jean Paul II aux deux guerres du Golfe de 1991 et 2003, alors que la première, vouée à chasser les troupes de Saddam Hussein du Koweït, fit l’objet d’un relatif consensus en Occident. "On fait facilement le choix de la guerre sous couvert de toutes sortes de raisons, supposées humanitaires, défensives, ou préventives, même en recourant à la manipulation de l’information. De fait, ces dernières décennies, toutes les guerres ont été prétendument ‘justifiées’", remarque le pape argentin.

Soulignant que compte tenu du développement d’armements de plus en plus sophistiqués, "la guerre a acquis un pouvoir destructif incontrôlé qui affecte beaucoup de victimes civiles innocentes", le pape François explique dans cette encyclique qu’il est "très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible ‘guerre juste’. Jamais plus la guerre !", martèle-t-il, reprenant le célèbre appel de Paul VI à la tribune de l’ONU le 4 octobre 1965.

Non à la ‘guerre juste’ mais oui à l’autodéfense ?

Cette évolution progressive ne signifie pas pour autant une condamnation de l’autodéfense, reconnue comme licite par le Catéchisme de l’Église catholique, qui rejoint ainsi la tradition des Pères de l’Église : "Le courage qui protège la patrie en guerre contre les barbares, qui défend les faibles à l’intérieur du pays ou les alliés contre les brigands, ce courage-là est plein de justice", écrit saint Ambroise de Milan (339-397) dans son Traité des devoirs.

En 2014, dans le contexte de l’offensive de l’État islamique dans la plaine de Ninive, au nord de l’Irak, le pape François avait apporté un soutien nuancé et prudent à la perspective d’une intervention internationale, en reconnaissant qu’il était licite "d'arrêter l’agresseur injuste". En septembre 2022, lors de sa conférence de presse de retour du voyage au Kazakhstan, le pape François avait laissé entendre qu’il admirait le patriotisme des soldats ukrainiens. "Se défendre est non seulement licite mais c’est aussi une expression d’amour de la patrie. Qui ne se défend pas, n’aime pas, mais qui défend, aime", avait-il affirmé.

Cette semaine, après la polémique suscitée par les déclarations du Pape sur le "drapeau blanc", le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, a précisé dans un entretien au Corriere della Sera que "ce sont les agresseurs qui devraient d'abord cesser le feu", pointant donc la Russie, sans toutefois la nommer. La responsabilité d’ouvrir la négociation "ne relève pas de la responsabilité d'une seule des parties, mais des deux, et la première condition me semble être précisément de mettre fin à l'agression", a assuré le numéro deux du Saint-Siège.

La ‘paix juste’, des contours difficiles à tracer

Ce mode de communication peut donner l’impression d’un décalage entre le pape et sa propre diplomatie. Il peut aussi être interprété comme le signe d’une répartition des rôles entre un pape assumant un rôle de prophète incompris en tentant de parler à toutes les parties et de réveiller les consciences par des appels provocateurs, et une secrétairerie d’État appelée à temporiser en jouant la carte du réalisme politique. 

Reste qu’une fois reconnue comme caduque la notion de ‘guerre juste’, les contours d’une ‘paix juste’ semblent encore bien difficiles à tracer. Mais les opérations de rapatriement des corps et les échanges de prisonniers, qui donnent encore lieu à quelques contacts entre les états-majors russe et ukrainien, peuvent constituer, du point de vue du Saint-Siège, une opportunité pour maintenir quelques canaux d’humanité et d’espérance en vue d’une négociation future.

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