Voilà venue l’étape que le gouvernement craignait le plus. Un mois après l’adoption du projet de loi de constitutionnalisation de l’avortement par les députés, c’est désormais au tour du Sénat de se pencher sur le texte, ce mercredi 28 février. Si les spéculations allaient bon train depuis début février, elles se sont accélérées ces derniers jours. Mais il est impossible de savoir ce qui va ressortir des débats à la chambre haute, dominée par la droite.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, s’est prononcé à plusieurs reprises contre ce projet de loi, tout comme une partie des sénateurs du groupe Les Républicains et des centristes. L’élu estime que le texte n’a pas lieu d’être en raison de la nature de la Constitution, qui n’est "pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux". Lui et d’autres sénateurs ont aussi pointé l’inutilité du projet de loi, l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) n’étant "pas menacée" en France. Pourtant, la commission des lois du Sénat a fait savoir courant février qu’elle ne s’opposerait pas au texte proposé par le gouvernement. Les sénateurs devront donc débattre de l’unique article du projet de loi, qui vise à ajouter à l'article 34 de la Constitution la disposition suivante :
La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse.
Le calendrier du gouvernement en suspens
Face à ce texte, trois scénarios sont possibles : les sénateurs peuvent le rejeter, l’adopter tel quel, ou en adopter une version amendée. Pour le gouvernement, qui souhaite faire adopter la révision constitutionnelle par le Congrès dès le 4 mars, la partie est loin d’être gagnée ; car il faudrait pour cela que le Sénat adopte mot pour mot le texte voté à l’Assemblée nationale. Or, si la commission des lois a déclaré ne pas s’opposer à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, elle a émis des réserves concernant la rédaction du texte, qui retient l’avortement comme une "liberté garantie".
Une expression très discutée à droite, qui considère que cela reviendrait à faire de l’IVG un droit opposable. Une partie des sénateurs craint ainsi que le texte ne conduise ensuite les juridictions à sanctionner les soignants refusant de pratiquer une IVG. Deux amendements ont donc été déposés par des élus LR, dont l’un vise à supprimer le terme "garantie", qui signifie pour eux un droit opposable. Le second a pour objet d’inscrire dans la Constitution la clause de conscience des médecins, non tenus de pratiquer l'IVG s'ils ne le souhaitent pas. En lui donnant la même valeur constitutionnelle que l’IVG, l'existence de cette clause de conscience spécifique serait ainsi protégée. Le gouvernement est contre, considérant que la constitutionnalisation de l’IVG ne menace pas la liberté de conscience des médecins. Pourtant, deux propositions de loi, en 2018 et en 2020, contenaient des dispositions visant à supprimer la clause de conscience spécifique à l'IVG.
Fortes pressions
La droite sénatoriale va donc tabler sur ces amendements, car il est en fait peu probable que les opposants à la constitutionnalisation de l’IVG parviennent à un rejet en bloc du texte. Les présidents de groupe LR et UDI n'ont d'ailleurs donné aucune consigne de vote à leurs élus. En 2023, une proposition de loi portée par la France Insoumise pour inscrire l’avortement dans la Constitution avait déjà failli aboutir. Le texte, qui prévoyait l’inscription d’un "droit" à l’IVG dans la Constitution, avait été adopté à une courte majorité par les sénateurs, après avoir été très largement amendé. Pour cette fois, certains sénateurs de la majorité ont déjà confié au Parisien qu’ils allaient changer d’avis et voter favorablement à la constitutionnalisation de l’IVG, notamment en raison de pressions intra-familiales. Sans compter celles de nombreuses associations féministes, dont certaines ont organisé des pétitions pour demander au Sénat de voter le texte. Pour beaucoup d'élus, voter à contre-courant de l’opinion sur un sujet aussi sensible est une épreuve.
S'est donc installée une situation de grande tension dont pâtit en réalité la société tout entière. Car si plus de 80% des Français sont favorables au projet de loi, le sujet est tabou et les oppositions inaudibles. "Le débat est-il encore possible ? Il devient difficile aujourd'hui de s'exprimer sur ce sujet sans prendre le risque de devenir une cible médiatique", s'inquiétait ainsi à la veille du vote l'archevêque de Lyon, Mgr Olivier de Germay. "Certains craignent que l'opinion publique sur l'avortement ne change", poursuit-il. "Verrouiller définitivement les choses pour anticiper une telle hypothèse, n'est-ce pas un déni de démocratie ?"
Certains refusent encore de s'y résoudre. Une manifestation silencieuse organisée par la Marche pour la Vie se tiendra devant le Sénat le mercredi 28 février de 18 heures à 20 heures, pour "défendre la liberté de conscience, la protection de l’enfant à naître et encourager les sénateurs à voter contre ce projet de loi constitutionnelle".