De plus en plus de témoignages du front confirment que l’armée ukrainienne manque de munitions. La cadence de tirs serait désormais d’un contre 10 côté russe… en raison d’une lenteur de réaction de l’Europe et d’un désengagement des Américains. Une situation qui va de pair avec un recul des Ukrainiens, depuis quelques semaines, sur plusieurs endroits de la ligne de front. Les Russes, forts d'une économie tournée vers l'effort de guerre, se retrouvent en position de force. L’armée de Moscou a ainsi multiplié les assauts sur le front et revendique plusieurs succès, en particulier la prise de la ville forteresse d'Avdiïvka le 17 février. La victoire ou la défaite de l’Ukraine "dépend de vous", a lancé dimanche à ses alliés le président Volodymyr Zelensky, qui s’adressera en visioconférence à la réunion organisée à Paris au palais de l’Élysée. Les gouvernements occidentaux vont-ils s’engager plus fortement et plus rapidement ?
J’ai été personnellement bouleversé d’entendre le cri d’un médecin sud-africain engagé aux côtés des troupes ukrainiennes, ulcéré par le manque de constance de l’engagement des occidentaux. Dans une vidéo postée depuis le front, il dit sa honte d’être un Occidental : "I am ashamed to be a westerner…" Il assiste tous les jours aux mutilations des soldats qui sont blessés ou qui périssent sous les bombes russes dont la charge a plus que doublé récemment. Le manque de munitions et de systèmes de défense aérienne conduit les soldats ukrainiens au martyre. Et ce médecin de crier, désespéré, en pleurs : "Des dizaines de milliers de civils ont été tués. Les soldats ukrainiens se font tuer en masse faute de ne pas pouvoir se défendre. Mettez-vous dans leur peau. Si ces jeunes soldats étaient vos enfants, accepteriez-vous de retarder ainsi l’envoi de munitions et de les laisser se faire exterminer ainsi ?"
Le défaut de l’aide occidentale
Quelles sont les raisons de cette situation critique ? Kiev est actuellement privée d’une aide de son principal allié américain de 60 milliards de dollars, bloquée par les rivaux républicains du président démocrate Joe Biden. Cette aide nécessaire aux Ukrainiens est actuellement retardée parce que le président de la Chambre des représentants des États-Unis a donné trois semaines de congés aux sénateurs avant de se pencher sur l’octroi d’une nouvelle enveloppe financière pour l’Ukraine. Le président Biden a déclaré : "Un échec à soutenir l’Ukraine à ce moment critique ne sera pas oublié par l’histoire. Cela aurait un impact pour des décennies." Du côté des Européens, la situation n’est pas glorieuse non plus. Selon le ministre ukrainien de la Défense Roustem Oumerov (déclaration à l’AFP dimanche 25 février), la moitié des armes occidentales promises à l’Ukraine sont livrées avec du retard. L’Europe, à l’exception de la Pologne, n’a pas réussi — ou n’a pas mis les moyens nécessaires — à réaliser les investissements promis pour augmenter les capacités de production industrielle d’armements.
De nombreux engagements nationaux en faveur d’importantes dépenses supplémentaires en matière de défense ne se sont pas encore concrétisés ou ne devraient pas entrer en vigueur pendant plusieurs années. Selon Justin Bronk, chercheur du RUSI (Royal United Services Institute), un think tank britannique sur la sécurité et la défense, le programme multinational d’achat d’artillerie de l’Agence européenne de défense (AED) est un plan solide, mais il a été glacialement lent à mettre en place par rapport au rythme des besoins ukrainiens. Le programme de l’AED est également loin d’être suffisant à son échelle actuelle pour soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine sur une base durable dans un avenir immédiat, sans parler de reconstituer les stocks de l’Europe, qui ont été gravement épuisés.
Vers un désengagement américain ?
La France vient récemment par la voix du président Emmanuel Macron de s’engager à un accord de sécurité bilatéral de long-terme qui prévoit jusqu’à trois milliards d’euros d’aide supplémentaire à Kiev. Avant cela, selon les décomptes du Kiel Institute, agrégeant en valeur les aides financières, humanitaires et militaires promises à l'Ukraine, la France avait accordé 1,8 milliards d’euros et se retrouvait au 15e rang des pays contributeurs. Comment cela est-il possible ? Autant dire que la réaction française est bienvenue. Cette aide française n’inclut pas les appuis financiers qui seront apportés directement au niveau européen. Ursula von der Leyen a annoncé que l'UE verserait en mars 4,5 milliards d'euros à Kiev, première tranche d'une enveloppe de 50 milliards d'euros approuvée en février par les 27.
Il semble que l’Europe réalise enfin qu’elle ne pourra pas compter indéfiniment sur l’appui des États-Unis et adapte progressivement son économie pour faire face à cette guerre et le risque de voir plus tard Vladimir Poutine s’attaquer directement aux pays de l’OTAN. L’hypothèse d’une victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle en novembre ne fait qu’ajouter de l’incertitude sur l’engagement américain. Reste le sujet de la rapidité du versement de ces aides. La situation du front demande d’agir vite. Citons ici Winston Churchill en 1936 : "Aurons-nous le temps pour mettre de l’ordre dans notre défense militaire... ou nous contenterons-nous de citer les mots horribles “trop tard”" ?
La possibilité d’une solution diplomatique
Ces considérations paraissent peu spirituelles. Et pourtant, si la prière pour la paix doit rester prioritaire, celle-ci ne doit pas nous conduire à "laisser faire". Ce n’est pas en cédant une partie de l’Ukraine à Vladimir Poutine pour calmer sa soif de pouvoir que la paix sera assurée. Notre responsabilité collective, à commencer par celle de nos gouvernants, est de protéger nos concitoyens. Le ministre des Affaires étrangères Sébastien Séjourné explique cela :
"La Russie veut nous faire croire qu’il serait plus raisonnable d’abandonner les Ukrainiens à leur sort tragique… Or le coût d’une victoire russe serait tout simplement inacceptable pour nos sociétés. La Russie ne se contenterait pas de l’Ukraine. Loin de nous apporter la paix, la victoire de Moscou ne pourrait qu’inciter Vladimir Poutine à poursuivre sa chimère expansionniste… Ce qui nous attend si la Russie avance en Ukraine, c’est la menace permanente, la déstabilisation quotidienne, la possibilité d’une extension de la guerre. Le danger ne s’arrêtera pas aux frontières de l’Union européenne et de l’OTAN. Nos alliés et partenaires de l’est de l’Europe y sont déjà confrontés."
La stratégie de Vladimir Poutine est assez simple : attendre que la situation du front ukrainien se détériore encore plus par manque d’effectifs et de moyens militaires ; attendre que le congrès américain bloque les aides à l’Ukraine et que Donald Trump soit élu ; attendre que les pays du Sud s’unissent encore plus contre l’Occident empêtré dans ses contradictions et le drame de Gaza ; attendre que les agriculteurs européens s’opposent plus encore aux importations de blé et de poulets ukrainiens… Face à cette stratégie d’attente qui serait perdante pour les démocraties occidentales, et pour que le plus rapidement possible émerge une possibilité de solution diplomatique telle qu’encouragée par le pape François, nos gouvernements doivent réagir plus fort et plus vite. C’est l’enjeu de ce rassemblement des chefs d’État de ce 26 février : il en va de la sécurité de l’Europe.