Ils s'appelaient Milad, Abanub, Maged, Youssef, Kirollos, Bishoy, Samuel, Malak, Tawadros, Gerges, Mina, Hany, Samuel, Ezzat, Luka, Gaber, Essam, Malak, Sameh, Gerges, et Matthew. Ces 21 hommes exécutés par les miliciens de Daech sur une plage libyenne dans une mise en scène sordide ont été reconnus comme saints et martyrs par l’Église copte orthodoxe six jours après leur mort, et le pape François a annoncé en 2023, à l’occasion de la visite du pape copte Tawadros II, leur intégration dans le martyrologe romain. Cette mémoire commune a donné lieu, pour la première fois cette année, à une célébration oecuménique réunissant catholiques et coptes orthodoxes dans une chapelle latérale de la basilique Saint-Pierre, sous la présidence du cardinal Kurt Koch, préfet du dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens. Le discret cardinal suisse, les yeux brillants, ne cachait pas son émotion au fil de cet événement historique.
Rappelant que "le premier martyr" fut Jésus-Christ lui-même, le cardinal Koch a souligné dans son homélie que le martyre est « le plus haut témoignage de l’amour », et qu’il porte une grande fécondité. "Tout comme l'Église primitive était convaincue que le sang des martyrs aurait été une semence de nouveaux chrétiens, aussi aujourd’hui nous pouvons nourrir l’espérance, dans la foi, que le sang de tant de martyrs de notre temps puisse un jour se révéler une semence de pleine unité oecuménique du Corps du Christ, blessé par tant de divisions", a-t-il confié.
Malgré la solennité de l’instant, la célébration s’est déroulée dans une atmosphère pleine de joie, les jeunes choristes de la paroisse copte-orthodoxe de Rome partageant avec entrain certaines mélodies de leur patrimoine liturgique, quitte à déborder quelque peu sur les horaires prévus. Au moment où les participants devaient rejoindre la filmothèque vaticane pour une projection du documentaire de Samuel Armnius consacré à ces martyrs, "Les 21", l’ambiance de joyeuses improvisations a quelque peu surpris le personnel du Vatican chargé d’accompagner l'événement. Le rapport égyptien au temps n’est pas forcément calé sur celui du Vatican… "Mais on va finir par dormir ici !", s’est ainsi amusé un évêque copte devant quelques lenteurs techniques au moment du lancement de la projection.
Mais ce reportage dans le village égyptien d’où sont originaires 13 des 21 martyrs, diffusé dans une version sous-titrée en italien, a bouleversé l’assistance. Les visages fiers des petites filles rendant hommage à un père martyr qu’elles n’ont presque pas connu, tout comme les paroles de paix et de pardon des parents de certains otages, manifestent la fécondité concrète d’une vie donnée à Dieu, sans ressentiment, comme le montrent les visages dignes des otages avant leur exécution. Ce documentaire offre aussi une réponse au film de propagande scénarisé et élaboré par les terroristes afin d’humilier "la Nation de la Croix", mais qui s’est retourné contre eux, devenant au contraire un témoignage éclatant de l’espérance chrétienne. Ces martyrs sont aussi devenus une fierté nationale pour l’Egypte, où la minorité chrétienne a trouvé de nouveaux appuis et une meilleure assise après des années éprouvantes marquées par de nombreux attentats.
Nous sommes Égyptiens, alors vous ne réussirez pas à repartir sans un cadeau de notre part !
Loin d’une triste commémoration formelle, ce rassemblement scellant le rapprochement entre les Églises fut ainsi un moment chargé de joie et de simplicité, détonnant dans l’atmosphère souvent feutrée du Vatican. "Nous sommes Égyptiens, alors vous ne réussirez pas à repartir sans un cadeau de notre part !", a lancé Samuel Armnius au terme de l'événement, avant de faire remettre à chacun des participants une icône représentant les saints martyrs de 2015. Un chant entonné après la projection du film par un évêque copte-catholique, et spontanément repris par un prêtre copte-orthodoxe, a montré que l’œcuménisme du sang pouvait déboucher sur une relation entre les Églises basée sur la confiance, la complémentarité et la fraternité, loin de la méfiance qui pouvait encore prédominer il y a quelques années.