En répondant dimanche 28 janvier sur France 2 à ceux qui avaient pétitionné contre son parrainage du Printemps des poètes, Sylvain Tesson a su situer le débat sur le terrain qu’il n’aurait jamais dû quitter : celui de de la langue française. C’est pourquoi il a proposé lui-même à ses adversaires toute une série d’insultes qu’ils auraient pu lui adresser, au lieu de dégainer une fois de plus "extrême droite", "mot du conformisme absolu". Et de leur suggérer "rétrograde", "ringard", "rétif", "cheval de labour" ou "vieille locomotive". Il y avait là quelque chose de Cyrano, offrant au ricaneur, inapte à trouver quoi que ce soit dans son propre esprit, mille sarcasmes sur son nez.
Deux types d’écrivains
Au-delà du jeu des synonymes , Tesson faisait cette précision : "Je veux avouer que j’aime ce qui demeure plutôt que ce qui s’écroule." Ceux qui n’arrivent à penser qu’en termes politiques et manichéens traduiront par "conservateur" plutôt que "progressiste", mais ils rateront ainsi toute la portée poétique de l’expression. Plus que deux familles politiques, l’opposition peut désigner, sans le moindre jugement de valeur, deux types d’écrivains. Il y a une beauté de la demeure retrouvée, de la pérennité majestueuse d’une cathédrale, de la transmission d’un poème de siècle en siècle. Il y a aussi, de Du Bellay au romantisme, en passant par Diderot, une poétique des ruines, parce que le monument effondré fait deviner la "mondaine inconstance" et les vains efforts de l’homme pour s’éterniser dans la pierre. Cela n’empêche pas, d’ailleurs, d’en conclure que l’esprit demeure... Devant Notre-Dame de Paris en flammes, les uns pensaient reconstruction pour que chrétienté continue, d’autres méditaient la fin d’une ère réduite en cendres. Rien ne dit que la poésie soit plus d’un côté que de l’autre. "Ce qui demeure et ce qui s’écroule", ce ne serait pas un mauvais thème pour l’édition 2025 du Printemps des poètes.
Il est toutefois permis à l’écrivain disciple du Christ de formuler les choses un peu autrement, sans conservatisme idolâtre ni progressisme destructeur. Aussi Mauriac notait-il, en 1965, au lendemain d’une messe pour les dix ans de la mort de Claudel : "Oui, hier à Notre-Dame il [Claudel] eût pu croire que rien n’était changé dans l’Église ; mais là encore c’eût été une illusion, car plus d’une pierre s’en est déjà détachée ; la liturgie se défait sous nos yeux, une prière, et puis une autre prière vont entrer dans le silence éternel." C’est au point que Mauriac songe à "un mot affreux" de Talleyrand : "Les funérailles d’un grand culte." Mais, sachant voir Celui qui seul demeure lorsque tout s’écroule, Mauriac ajoute : "Et certes je n’y songeais pas avec une pensée de blasphème, moi qui n’ai jamais confondu le culte, le rite avec l’objet de la foi et qui sais que ce qui importe à Notre-Dame de Paris, comme dans l’église de village la plus abandonnée, c’est la fraction du pain, c’est le pain vivant."
Le témoin de ce qui dure
À ce même Mauriac qui voulait le faire entrer à l’Académie française, Bernanos avait apporté une réponse qui brouille elle aussi la frontière entre l’amour de ce qui demeure et le goût de ce qui s’écroule : "Vous conviendrez assurément que cette distinction n’est pas faite pour moi, ni pour l’espèce de services que je rends, et qui me font passer, auprès de tant d’étourdis, pour un démolisseur alors que je voudrais — Dieu le sait — rester seulement jusqu’au bout, dans une société qui tombe en poussière, le témoin de ce qui dure contre tout ce qui donne l’illusion de durer." Bernanos conservateur ? Bon courage à celui qui voudrait le démontrer. Bernanos progressiste ? Plus absurde encore. Mais Bernanos catholique, oui, tout simplement, fustigeant avec la même liberté les habitudes cruelles que le monde tient à conserver et les nouveautés barbares qu’il fait passer pour des progrès au milieu des ruines de la chrétienté.
"Ce qui dure contre ce qui donne l’illusion de durer." Plus encore que ce qui demeure contre ce qui s’écroule, telle pourrait être la devise d’un écrivain qui ne vénère ni les pierres tombales du passé, ni les mirages progressistes. Il n’est pas sûr que celui-ci ait sa place au Printemps des poètes.
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