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Les bouleversements historiques les plus profonds sont souvent ceux qu’on discerne le moins sur le moment, car ils se font sans désordre apparent, ou plutôt dans un désordre installé. C’est pourquoi les historiens ont tant de mal à s’accorder sur la date précise de la chute de l’Empire romain, ou encore sur le fait générateur du basculement de l’homme médiéval vers l’homme moderne, dans ce bouleversement silencieux que personne à l’époque ne songea à appeler "Renaissance".
Et nous pouvons parier que notre descendance débattra sur la nature et la date du changement que nous vivons sans le voir, changement par lequel l’homme occidental cède son règne à d’autres tempéraments. On parlera de la révolution numérique, sans doute. Mais comme lors de l’invention de l’imprimerie ou de celle du moulin à eau quinze siècles plus tôt, la technique semble accélérer une évolution qu’elle n’a pas déclenchée. Qui peut le dire ?
Une année de profonds changements
Ce qui est certain, c’est que l’année 2023 est une année de profond changement. Pour commencer, le tragique de l’Histoire est revenu par surprise, avec de vraies guerres, c’est-à-dire une politique consistant à faire entrer le maximum de métal dans le maximum de chair vivante, comme dit Malraux quelque part. Qu’elles se déroulent en Ukraine, au Proche Orient, en Afrique ou en Asie, les barbaries sont de moins en moins périphériques, d’abord parce qu’elle nous touchent de plus en plus près, et ensuite parce que c’est nous-mêmes qui devenons de plus en plus périphériques. Où est le centre du monde ? Qui encercle qui ? L’année 2023 aura vu nombre d’experts changer d’avis en route sur cette question. En 2023, nous aurons tout entendu sur la Russie, tout sur la Chine, tout sur l’Inde, tout et son contraire. Les experts appellent la part visible de cette mutation "retour au monde multipolaire". L’expression est rassurante, mais l’Histoire montre qu’il y a toujours un pôle qui finit par dominer les autres. Quand le fils de l’Homme viendra, trouvera-y-il la foi sur la terre ?
L’apocalypse est advenue sans anéantissement et sans drame, sans même que les agences de notation ne dégradent la note de notre dette.
Deuxièmement, ce ne sont pas seulement les guerres et les attentats qui auront marqué l’année 2023. En France, 2023 aura été l’année des échéances. Toutes les catastrophes que les déclinistes nous ont annoncé depuis trente ans, le déclassement, la désindustrialisation, la crise de la dette, le communautarisme, l’effondrement de l’autorité, l’effacement de l’influence française, le désastre éducatif, le choc migratoire, la crise d’identité nationale ont cessé d’être des menaces : elles sont devenues une réalité. Le mal est fait. Et cependant la vie continue. Plus étrange, l’apocalypse est advenue sans anéantissement et sans drame, sans même que les agences de notation ne dégradent la note de notre dette. Après la fin du monde, il faut donc essayer d’être heureux. C’est ce que la France en deuil d’elle-même commence à découvrir, le peuple d’abord, et bientôt les politiques eux-mêmes. Il en résulte d’inévitables secousses mais pas de désespoir.
Une crise de régime
Inévitables secousses : à court terme, le pays s’offre une crise de régime. La loi de la République ne pèse plus rien. Quand elle n’est pas massacrée par les juges, la volonté du législateur est discréditée par l’air du temps. En 2023, c’est une première, les syndicats ont fixé la date de la grande manifestation contre la réforme des retraites au lendemain de la promulgation de la loi qui l’instaurait, pour bien montrer que la loi ne devait plus avoir le dernier mot. Il y a quelques jours, trente-deux présidents de conseils départementaux ont fait savoir qu’ils n’appliqueraient pas la loi sur l’immigration. L’expression de la volonté générale qui fondait la République n’avait jamais été aussi malmenée.
Si cette Assemblée nationale était un média, on aurait pu dire d’elle en 2023 : audience en hausse, qualité en baisse.
L’Assemblée nationale, sans majorité, n’a pas su saisir l’occasion de devenir un lieu de débat d’idées. Si cette Assemblée était un média, on aurait pu dire d’elle en 2023 : audience en hausse, qualité en baisse. Il se passe toujours quelque chose de mineur au Palais Bourbon. De plus en plus de choses, de moins en moins déterminantes. Cependant, à plus long terme, la crise de régime n’est pas sans solution. Nos institutions ont montré leur solidité, elles ont sauvé la mise à un président mal aimé et à un gouvernement minoritaire. Au cœur du dernier épisode parlementaire, celui du projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, les Français ont découvert que le Sénat servait à quelque chose et que le vieux parti gaulliste pouvait encore peser. Il ont pu imaginer qu’il existât une alternance possible qui ne sera pas un recours aux extrêmes. Le gouvernement Borne est mort-vivant, mais tout le monde a compris que la vie ne sera pas pire après ce gouvernement.
Dans l’Église, un lot de malentendus
Troisièmement, enfin, l’Église en 2023 n’aura pas ménagé ses fidèles. Nous avons eu des moments de bonheur, aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Lisbonne ou à Marseille, mais aussi un lot de malentendus. Dernière péripétie (je ne suis pas capable d’appeler autrement la diffusion inopinée d’un texte du Dicastère pour la doctrine de la foi sur un sujet extérieur à son périmètre de compétence), la déclaration Fiducia supplicans sur la signification pastorale des bénédictions. Face aux mystères de ce document, les plus sages auront été les plus silencieux. Le Malin tenait une bonne occasion de semer la division au sein de l’Église du Christ à quelques jours de Noël. Il en est resté pour ses frais. La terre et le ciel passeront, la Parole de Dieu ne passera pas.