L’Évangéliste Jean rapporte le miracle de la multiplication des pains de manière très précise, rappelant que l'événement eut lieu sur "l’autre côté de la mer de Galilée, le lac de Tibériade". En ces lieux, une importante foule suivait Jésus car nombreux étaient ceux qui connaissaient les guérisons miraculeuses qu’Il avait déjà accomplies. Le Maître gravit avec ses disciples une montagne et s’assit alors que la Pâque approchait. Jésus sciemment posa cette question pratique à Philippe pour le mettre à l’épreuve, tout en sachant pertinemment ce qu’il allait accomplir quelques instants après (Jn 6, 5) :
Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ?
Philippe, toujours pragmatique, se met à faire des calculs au vu de cette foule si dense et répond alors à Jésus : "Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain." Et Simon-Pierre de confirmer : "Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde !". Mais, Jésus demande pourtant à ce que la foule s’asseye, cinq mille hommes, précise l’Évangéliste Jean… C’est alors l’impensable qui survint : Jésus prend les cinq pains, rend grâce et les fait distribuer aux cinq mille convives de ce banquet improvisé, c’est un véritable miracle d’abondance. Chacun mange à sa faim, pains et poissons, "autant qu’ils en voulaient" précise encore la Bible. Au terme de ce festin, douze paniers furent remplis en surplus, signe de cette abondance était bien sans limites…
Le pain de vie
Les témoins de ce miracle pensèrent alors : "C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde." Mais conscient que ces personnes souhaitaient faire de lui leur roi, le messie annoncé par l’Ancien Testament, Jésus refuse cette gloire immédiate. Ce n’est pas un royaume temporel que Jésus annonce, il n’est pas un nouveau David, mais bien le Fils de l’homme, celui qui donne le pain de vie dont ce miracle est la préfiguration ainsi que le souligneront de nombreux Pères de l’Église. La nourriture que propose Jésus n’est pas d’ordre matériel mais spirituel, le pain de la vie éternelle accordée à toute femme et à tout homme par le Père et le sacrifice à venir de son Fils.
La multiplication des pains annonce en effet l’eucharistie au soir du Jeudi saint, la veille de sa Passion.
La multiplication des pains annonce en effet l’eucharistie au soir du Jeudi saint, la veille de sa Passion ; le pain rompu étant associé, selon Ambroise et Augustin, à la Parole de Dieu partagée. Ainsi, ce pain venu du ciel – rappel de la manne déjà reçue au désert par les Hébreux lors de l’Exode – va bien au-delà de la nourriture sauvant de la famine, et anticipe le fondement même de la foi chrétienne. Cette abondance spirituelle illimitée, certes souvent difficile à comprendre, sera soulignée par l’Évangéliste Jean qui rapporte que "constatant cette incompréhension, Jésus se retire seul dans la montagne", son heure n’est pas venue et son message n’est pas encore passé dans le cœur des hommes, témoins pourtant de ce miracle accompli sous leurs yeux…
L’abondance, inspiratrice des artistes
La multiplication des pains inspirera très rapidement les artistes, aussi n’est-il pas étonnant de pouvoir admirer dès le Ve siècle de notre ère, à Ravenne en Italie, cette splendide mosaïque dans la basilique Sant’Apollinare Nuovo. Dans le plus pur style dit aujourd’hui de Ravenne, cette œuvre d’art représente le Christ au cœur même de la composition, les bras en croix et portant une toge pourpre, signe de gloire et rappel de la pourpre portée alors par les empereurs. En un geste ample, il donne à ses disciples les pains, quatre et non cinq comme dans les Écritures, le cinquième pain étant le Christ lui-même. Cette œuvre éblouissante – il faut imaginer la multitude de ses tesselles d’or scintillant à la lumière des torches et bougies – manifeste la gloire du Christ anticipée par ce miracle et la rédemption annoncée.
En un tout autre style – celui de la Renaissance du XVIe siècle - le peintre liégeois Lambert Lombard retiendra également ce thème prolifique de la multiplication des pains pour une œuvre conjuguant peinture flamande et influence de la couleur italienne rapportée de son voyage à Rome. Le peintre transpose le miracle dans le quotidien de son époque, vêtements et coiffures du XVIe siècle venant ainsi "actualiser" la scène dans le contexte de la Renaissance. Nous retrouvons Jésus les bras écartés, bénissant les pains et poissons, son regard tourné vers son Père aux cieux dans un cadre luxuriant où la nature et la foule réunie sont certes bien éloignées de la scène originelle, mais témoignent de cette même liesse émouvante opérée par ce miracle d’abondance !