Certains passages de l'Ancien Testament déconcertent le lecteur moderne qui vit dans une culture très différente de celle des hommes de la Bible. Ainsi, le langage employé pour caractériser les différents types de sacrifices pratiqués par le peuple hébreu dans le Temple est devenu étranger à la plupart d’entre nous. Par exemple, l’homme de la rue est-il capable de faire aujourd’hui la différence entre sacrifice d'expiation et sacrifice de propitiation ? Or, ce n’est pas là une question d'érudits car les sacrifices de l'ancienne Alliance prophétisaient, à leur niveau, celui de la Croix. Celle-ci est en effet un sacrifice d'expiation et de propitiation. Aussi, saisir la différence entre les deux termes n'est-il pas superflu.
Jésus, à la fois victime d'expiation et de propitiation
Précisément, il existe un passage du Nouveau Testament qui rapproche les deux termes. Il s'agit d'un verset de la première lettre de saint Jean : "Si quelqu'un vient à pécher, nous avons comme avocat auprès du Père Jésus-Christ, le Juste. C'est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres mais aussi pour ceux du monde entier" (1 Jn 2, 1-2). Or, le terme traduit par "propitiation" est hilasmos qui signifie en grec "rendre agréable". En l’employant dans sa lettre, saint Jean indique que le sacrifice de Jésus avait pour but d'apaiser Dieu et de nous Le rendre propice (favorable). Cependant, hilasmos renvoie également à la signification d’"expiation" qui traduit une réparation des péchés. L'expiation fait davantage référence à l'action d'effacer les péchés. Le terme grec du texte possède donc deux significations : se rendre Dieu favorable et effacer les péchés. En quoi cette différence est-elle instructive ?
En fait, cette nuance se rapporte aux deux faces du sacrifice de la Croix. La première concerne la réparation des péchés par l'expiation ; la seconde face de la Croix correspond à l'action de rendre l'humanité agréable à Dieu. Certes, ces deux dimensions sont liées : les hommes entrent en amitié avec le Père en étant lavés de leurs péchés. Cependant, s'il existe deux termes pour caractériser le sacrifice de Jésus, c'est qu'il n'est pas inutile de prendre en compte les deux niveaux de profondeur du salut de la Croix.
Réparer nos fautes pour renouer l'amitié
Résumons : par l'expiation, Jésus répare et compense le péché des hommes en mettant de l'amour là où il n'y en avait pas, de la même façon que je répare un larcin en restituant son argent à la personne que j'ai volée ou en me dédisant après avoir colporté un mensonge sur elle. La première image peut nous aider à comprendre la logique sous-jacente à l’action expiatoire : l’homme a volé à Dieu l’amour qui lui était dû en se l’attribuant à lui-même (en s’aimant trop lui-même au détriment de son Créateur et de ses frères). Jésus répare en rendant à son Père l’honneur et l’amour auxquels Il a droit, et cela en l’aimant jusqu’au sacrifice suprême sur le Golgotha. C'est là l'aspect "pénible" et onéreux du sacrifice : faire du bien là où du mal a été commis.
La propitiation, de son côté, constitue la face plus positive de l'expiation : le péché étant réparé, Dieu me regarde de nouveau avec des yeux favorables, c’est-à-dire avec les yeux paternels qui sont les siens depuis toujours. Tel est l’aspect "impétratoire" (action d’obtenir) du sacrifice : l’homme obtient de nouveau l’amitié de Dieu. Il est impétrant, c’est-à-dire un homme habilité, en tant que fils, à se tenir en présence du Père. Toutefois, gardons-nous de durcir l’opposition entre les deux termes : par exemple l’expiation comprend une dimension d’intercession. Jésus intervient en notre faveur auprès de son Père dans son sacrifice d’expiation.
La signification de la croix
Ainsi, expiation et propitiation sont comme les deux faces d'une même pièce. La première souligne davantage la dimension coûteuse du sacrifice. La réparation exige en effet efforts et peine. Non pas que Dieu désire se venger, mais parce que réparer un dégât ne se fait jamais en claquant des doigts : il n’en va pas différemment dans l’ordre religieux et moral que dans la vie courante, à la différence près que les enjeux sont incommensurablement plus importants dans le premier ordre. Quant à la propitiation, elle met davantage l'accent sur la finalité même du sacrifice : nous rétablir dans l'amitié de Dieu. Aussi, malgré leur antiquité, ces deux termes conservent-ils leur pertinence pour mettre en lumière la signification de la Croix et… de celles que nous portons à la suite de Jésus.