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29 avril 1923, le jour où Thérèse de Lisieux a été béatifiée

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Anne Bernet - publié le 28/04/23
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C’était il y a cent ans jour pour jour. Le 29 avril 1923, la basilique Saint-Pierre resplendit de la gloire de la petite Thérèse de l’Enfant Jésus, proclamée bienheureuse. L’Église et le monde sont en fête. Récit d’une journée pleine de grâces et de surprises.

Fait assez exceptionnel pour l’époque, il se sera écoulé à peine un quart de siècle entre la mort à Lisieux de sœur Thérèse de l’Enfant Jésus, petite carmélite inconnue, le 30 septembre 1897, et sa béatification, en 1923, alors qu’elle est devenue mondialement célèbre. Préparées, attendues, les cérémonies qui se dérouleront à Saint-Pierre de Rome le 29 avril 1923, marqueront les esprits comme un très grand triomphe, en même temps qu’une célébration du catholicisme français, au terme du long refroidissement entre la IIIe République laïcarde et le Vatican. 

Le tout nouvel ambassadeur

Eu égard à l’immense réputation de sainteté de sœur Thérèse, qui, en quelques années, s’est répandue dans le monde comme une traînée de poudre et que les protections accordées libéralement à tous les soldats catholiques de la Grande Guerre, ce quelle que soit leur nationalité, ont prodigieusement accrue, chacun s’attend à ce que la journée soit exceptionnelle. Elle sera d’ailleurs marquée par un événement d’importance : la présence à la tribune diplomatique de la basilique de Jonnart, le tout nouvel ambassadeur auprès du Saint-Siège, alors que les relations entre les deux États étaient rompues depuis 1905 et la rupture des accords concordataires de 1802. Il s’agit de montrer la réconciliation de l’Église avec sa fille aînée, dont Pie X a dit, il n’y a pas si longtemps que cela, que ses "souillures l’ont défigurée". 

Reconnaissant l’engagement, le courage et le dévouement des prêtres, religieux et séminaristes français, qui ont répondu sans hésitation à l’appel de la patrie et sont tombés nombreux en se portant au secours des blessés, puisqu’ils ont servi comme ambulanciers, brancardiers, aumôniers, la République, dans un désir d’apaisement, a commencé à revenir sur les lois édictées contre les congrégations ; de son côté, Rome, depuis la fin de la guerre, a accéléré les procédures de béatification de Jeanne d’ArcMarguerite-Marie Alacoque, et maintenant de Thérèse qui rappellent l’enracinement du catholicisme en France. 

La basilique est remplie à craquer

Cependant, cette connotation politique, pour importante, forte et symbolique qu’elle soit, reste subsidiaire, tant il est vrai que la gloire de "la petite Thérèse" dépasse désormais tout aspect franco-français pour prendre une dimension universelle ; en attestent les milliers de lettres de Poilus, Tommies, Sammies, ou Feldwebels envoyées des quatre coins de la planète afin de témoigner d’une grâce reçue au front, d’une conversion inespérée, d’une protection impossible, qui ont amené à supprimer, dans l’instruction de la cause, la recherche de la réputation de sainteté, celle de la jeune religieuse n’étant manifestement plus à faire.

Combien sont-ils, qui ont fait le voyage de Rome, en cette fin avril, dans l’espoir d’assister à la glorification de leur petite sainte ? Les cérémonies du soir, ce dimanche 29 avril, réuniront, en présence du pape, plus de 30.000 personnes à l’intérieur de Saint-Pierre ; la basilique s’est également remplie lors de celles du matin et il faut encore tenir compte de tous les pèlerins qui n’auront pu entrer. Les journalistes présents diront que l’affluence a été "celle des grandes solennités". Il est vrai que, le matin, pour la béatification à proprement parler, la basilique s’est remplie à craquer dès 8h alors que la cérémonie ne doit commencer qu’à 9h30.

Outre Jonnart, l’on note, à la tribune des diplomates, la présence des ministres de Belgique et de Pologne, et, dans les autres loggias, la reine, détrônée, du Portugal, née princesse Amélie de France, qui a survécu à l’assassinat de son mari et de son fils, celle des députés de Normandie, notamment ceux du Calvados, et celle de nombreux évêques et archevêques français, dont ceux de Tarentaise, Verdun, Évreux, Troyes, Nice, Montauban.  Sont là aussi, bien entendu, les membres de la famille de Thérèse, et de la famille de Pie XI.

Le portrait beaucoup remanié

Quant aux dévots de Thérèse, il en est venu de tous les diocèses de France, mais aussi d’Italie, d’Espagne, d’Irlande, de Pologne, d’Angleterre et de bien d’autres lieux tant elle a déjà semé de miracles sur ses pas, réalisant sa promesse de "passer son Ciel à faire du bien sur la terre." Conformément à l’usage, sont aussi présents tous les cardinaux membres de la Congrégation des Rites qui ont instruit le dossier de la Servante de Dieu et le cardinal Rafael Merry del Val, ancien bras droit de Pie X. C’est à S.E. le cardinal Verde, président de la Congrégation des Rites, au cardinal Vico et au cardinal Merry del Val que le postulateur de la cause de Thérèse, l’infatigable père Rodrigue de Saint François de Paule, va exposer la demande officielle de béatification de la vénérable carmélite. Cela fait, le chanoine archiviste monte en chaire et procède à la lecture solennelle du bref de Pie XI qui fait de Thérèse une bienheureuse et autorise à lui rendre un culte public, quoique limité à son diocèse et à l’Ordre du Carmel, restrictions d’usage mais qui irriteront beaucoup ses dévots jusqu’à sa canonisation, à deux ans de là.

Cette lecture achevée, la voûte de la basilique et la Gloire sont illuminées, ce qui arrache des exclamations admiratives à une assistance pourtant recueillie, puis la chorale Julienne entonne le Te Deum tandis que les cloches s’ébranlent dans un carillon triomphal et que se déploie, sur la façade, pour la plus grande joie de tous ceux qui s’y sont massés, la gigantesque oriflamme représentant la bienheureuse Thérèse de l’Enfant Jésus. L’image, dite "grande apothéose", s’inspire d’un tableau peint en 1921 par sa sœur, Céline, l’artiste de la famille et du couvent, figurant Thérèse à genoux, les yeux levés au ciel et entourée d’anges. En fait, le dessin d’origine a été beaucoup remanié, sans talent, au grand dam de Céline. Encore n’a-t-elle pu constater que le peintre a fait loucher sa cadette… Deux angelots déploient un phylactère portant, en latin, l’inscription : "Quia cum essem parvula, placui Altissimo", un répond d’un office de la Vierge signifiant : "Quoique j’ai été toute petite, j’ai plu au Très Haut." Lorsque s’achèvent Te Deum et carillons, l’évêque de Bayeux et Lisieux, Mgr Lemonnier, qui a tant œuvré pour la glorification de sa diocésaine, encense les reliques de Thérèse, les images commémoratives et récite l’oraison de l’office de la nouvelle bienheureuse avant de célébrer pontificalement une messe solennelle avec son oraison particulière.

Un mystérieux capucin

À 17h30, a lieu, toujours à Saint-Pierre, une seconde cérémonie, présidée, cette fois, par le pape en personne, ce qui explique l’affluence monstre. Au son de la Marche triomphale interprétée par des trompettes d’argent, Pie XI, suivi de la cour pontificale, en camail et étole rouges sur sa soutane blanche, entre par l’escalier de la chapelle de la Pietà où l’attendent les cardinaux et s’assied sur la sedia qui va le conduire jusqu’à la chaire de Saint Pierre où se célébrera le salut du Saint Sacrement. La chorale interprète un motet. Une fois encore, il appartient à Mgr Lemonnier d’officier. Le Pape encense l’ostensoir puis retentit le Tantum ergo et la bénédiction eucharistique est donnée aux fidèles prosternés. Des offrandes sont ensuite apportées au souverain pontife, commémorant le grand jour : une image de Thérèse peinte sur soie, une très belle édition de sa biographie, un reliquaire ancien contenant quelques menus ossements et un bouquet de fleurs artificielles confectionnées par les carmélites de Sainte Brigitte. Enfin, clôturant la journée, le Pape repart, toujours sur sa sedia et toujours au son de la Marche triomphale.

Au milieu de cette liesse, quelques personnes reconnaîtront dans la foule un humble capucin des Pouilles qu’elles s’étonneront de voir si loin de son couvent de San Giovanni Rotondo et ne parviendront jamais à rejoindre pour le saluer. En fait, pour assister au triomphe de sa bien-aimée petite sainte française, Padre Pio de Pietrelcina n’aura pas eu besoin de quitter sa maison, où ses frères pourront attester sa présence. Il s’agit simplement d’un des nombreux cas de bilocation qui marqueront sa vie. Mais ceci est une autre histoire. 

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