Elle n'a rien à envier à la tapisserie de Bayeux, dit-on en Espagne. Datant du XIIe siècle, la tapisserie de la Création, ou tapisserie de Gérone (nord-est de l'Espagne), reste pourtant moins connue que la célèbre broderie retraçant les exploits de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant. Conservée au musée de la cathédrale Sainte-Marie, on pense qu'elle était suspendue à l'origine comme baldaquin derrière l'autel de l'église, elle semble avoir servi, tour à tour, de rideau, voire de tapis, ce dont témoignent les diverses mutilations qu'elle a subies.
La tapisserie, qui représente la Création du monde, est pourtant remarquable par sa complexité et sa profusion de figures et de symboles. Elle constitue une riche représentation de la Genèse : les "ténèbres au-dessus des abîmes" (Gn 1,2) , les "eaux foisonnant d’une profusion d’êtres vivants", les oiseaux "volant au-dessus de la terre" (Gn 1,20), Adam qui ne se reconnaît pas parmi les animaux (Gn 2,20) jusqu'à ce que Dieu donne vie à "l'os de ses os", "la chair de sa chair", Ève (Gn 2,23).
D'environ 12 mètres carrés, elle est divisée en trois parties. La Création du monde proprement dite occupe la partie centrale, à laquelle s'ajoutent différents éléments cosmiques qui l'entourent. L'invention de la Vraie Croix par sainte Hélène est représentée en bas.
Une composition complexe
Au centre, se trouve Jésus Christ sous les traits d'un personnage imberbe, la main levée. L'encerclant, plusieurs scènes retracent la Genèse, de la création du monde jusqu'à Ève. Autour de ce cercle, se trouvent dans chaque coin les quatre vents, représentés sous la forme de jeunes gens assis sur des outres. Les bandes latérales représentent quant à elles les mois de l'année, de février à juin à gauche, de juillet à octobre à droite – dont il ne reste que des fragments. La bande supérieure figure les saisons. La bande inférieure, enfin, la seule demeurant parmi ce que l'on pense être un ensemble de trois scènes, raconte l'histoire de la Croix. Sainte Hélène reconnaît la croix du Christ en la distinguant de deux autres, celles des larrons.
Une interprétation encore mystérieuse
Si les parties manquantes obligent les analystes à de multiples hypothèses quant au sens général de l'œuvre, certains motifs et figures conservés interrogent également.
Ainsi, comme le souligne par exemple le médiéviste Jacques Paul, la "tapisserie de Gérone comporte donc une figuration qui, prise pour ce qu’elle est, fait référence à une doctrine qui est hétérodoxe". En effet, les deux anges représentés, l'un représentant la lumière et l'autre les ténèbres, sont représentés symétriquement, et la place de l'ange des ténèbres dans la broderie semble indiquer que celui-ci a été créé avant l'ange de lumière. Une influence, peut-être, d'idées dualistes et gnostiques, bien que, selon l'historien, cet écho soit "assagi et christianisé" sur la tapisserie. Une œuvre, donc, à la richesse symbolique encore intacte.