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De plus en plus ivre d’elle-même, en attendant d’être ivre-morte, notre époque ne semble vraiment avoir rien d’autre à défendre que l’avortement. Pas une semaine sans un matraquage publicitaire plus ou moins direct : Simone Veil au panthéon, Simone Veil au cinéma ; Annie Ernaux sur les listes de bac, Annie Ernaux au cinéma ; Joe Biden héros de la lutte contre les dangereux pro-life, Joe Biden au cinéma ? La gauche en oublierait presque sa propre pancarte triomphaliste, l’abolition de la peine de mort, tant le droit à l’avortement apparaît comme un gage bien plus net de modernité.
Peut-être une partie de la gauche n’a-t-elle jamais digéré d’avoir été doublée par la droite "moderne" du président Valéry Giscard d’Estaing et du Premier ministre Jacques Chirac en 1974. Toujours en vigueur dans vingt-six États d’Amérique, la peine de mort provoque, de fait, nettement moins de cris que l’interdiction d’avorter dans une quinzaine d’États. Sans doute la vie est-elle désormais considérée comme une peine plus lourde que la mort.
"Rester l’exception"
Intouchable et indiscutable avortement. Contre ce sacré-là, peut-être le dernier, aucun blasphème n’est autorisé. Le lycéen qui, emmené de force devant le biopic Simone, se permettra ne serait-ce que de bâiller, fera-t-il l’objet d’un signalement pour séparatisme ? Télérama, Première et les Inrockuptibles, qui ont démoli ce film de musée Grévin pompier et ont signalé, parfois, l’indécence qu’il y a à montrer des camps de concentration dans une esthétique de clip vidéo, vont-ils être soupçonnés de basculer du côté des réactionnaires ?
Pour ce qui relève de l’histoire de la dépénalisation de l’avortement, on peut se contenter de relire ou de réentendre le fameux discours du 26 novembre 1974 à l’Assemblée nationale. Il est étonnant qu’il soit encore conseillé ici ou là, tant il manifeste que Simone Veil serait aujourd’hui passible de délit d’entrave à l’IVG. Quel professeur pourrait dire devant une classe : "Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue ?" Quelle infirmière scolaire pourrait citer ces mots de l’idole : "C'est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s'il admet la possibilité d'une interruption de grossesse, c'est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme ?" Quelle conseillère conjugale et familiale pourrait impunément intervenir en milieu scolaire en faisant cette précision : "Les deux entretiens qu'elle aura eus, ainsi que le délai de réflexion de huit jours qui lui sera imposé, ont paru indispensables pour faire prendre conscience à la femme de ce qu'il ne s'agit pas d'un acte normal ou banal, mais d'une décision grave qui ne peut être prise sans en avoir pesé les conséquences et qu'il convient d'éviter à tout prix ?"
Éviter à tout prix", "autant que possible, dissuader la femme", "faire changer d’avis"... Qu’elles aient été sincères ou purement stratégiques, toutes ces phrases peuvent probablement mener à une condamnation en justice aujourd’hui.
Quel planning familial osera prétendre être fidèle à cette injonction : "Tous ces entretiens auront naturellement lieu seule à seule, et il est bien évident que l'expérience et la psychologie des personnes appelées à accueillir les femmes en détresse pourront contribuer de façon non négligeable à leur apporter un soutien de nature à les faire changer d'avis ?" "Éviter à tout prix", "autant que possible, dissuader la femme", "faire changer d’avis"... Qu’elles aient été sincères ou purement stratégiques, toutes ces phrases peuvent probablement mener à une condamnation en justice aujourd’hui.
La question du consentement
En revanche, il y a une infraction à la loi qui ne fait guère craindre de sanction. L’article 223-10 du code pénal, que personne ne semble tenir à "sanctuariser", indique : "L'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende." Le risque n’existe pas, dira-t-on : nul ne cherche à avorter une femme dans son sommeil. Soit, mais il serait bon d’étendre à l’avortement la notion de "consentement". Si les multiples révélations d’abus nous ont appris quelque chose, c’est qu’il y a loin entre ne pas dire "non" et consentir pleinement. Sidération devant l’autorité de l’abuseur, peur de passer pour une arriérée, simple manque de volonté devant une demande insistante, tout a montré que la frontière est floue entre un consentement authentique et une acceptation soutirée.
Pour l’avortement, y a-t-il consentement, quand des parents signifient à leur fille qu’ils la mettront à la porte de chez eux si elle garde son bébé ou quand le père dit à la mère "c’est moi ou lui" ? Y a-t-il consentement, quand le planning familial confond accueil d’une jeune fille dans le doute et simple choix de la date de l’interruption "volontaire" de grossesse ? Y a-t-il consentement, enfin, quand une société entière brandit sans cesse l’avortement comme l’acte suprême de l’émancipation féminine ?
"En préparant le projet qu'il vous soumet aujourd'hui, disait Simone Veil, le gouvernement s'est fixé un triple objectif : faire une loi réellement applicable ; faire une loi dissuasive ; faire une loi protectrice." Sur le deuxième point au moins, la simple honnêteté intellectuelle devrait amener à reconnaître que l’échec de la loi Veil est patent.