Quand les mots pour dénoncer la gestation pour autrui (GPA) sortent de la bouche du père scientifique du premier bébé-éprouvette, ils devraient interpeller d’autant plus. Alors qu’il a été aussi loin que possible dans ce que la médecine permettait de faire pour aider les couples infertiles à concevoir, le professeur René Frydman, 78 ans, a toujours considéré la GPA comme une ligne rouge à ne pas franchir. Dans son dernier ouvrage Le Dictionnaire de ma vie, à paraître ce 27 avril aux éditions Kero, il développe un argumentaire cinglant et convaincant selon lequel la GPA n’est autre qu’un « abandon organisé » de l’enfant et une forme d’esclavage moderne de la femme.
René Frydman a pourtant été un avant-gardiste durant ce qu’il appelle « les 40 glorieuses de la gynécologie ». En 1973, il signe le manifeste des 331 médecins qui avouent avoir déjà pratiqué un avortement, un délit à l’époque. En 1982, avec le biologiste Jacques Testart, il permet la naissance du premier bébé-éprouvette en France, conçu par fécondation in vitro (FIV), puis celle des premiers bébés français conçus à partir d’ovocytes congelés. En mars 2016, il signe une tribune dans Le Monde avec 130 médecins et biologistes qui reconnaissent avoir aidé des couples homosexuels à avoir des enfants en infraction avec la loi. Son dernier combat concerne l’extension de la PMA à toutes les femmes, célibataires ou homosexuelles.
Néanmoins, lorsqu’il s’agit de GPA, il n’est plus question d’avoir « droit » à un enfant. « En quoi avoir un enfant est-il un droit ? Il n’est inscrit dans aucune Constitution du monde » s’interroge-t-il dans son dernier ouvrage, dénonçant fermement le « droit à la parentalité » en vogue aujourd’hui.
Abandon organisé
René Frydman commence son réquisitoire contre la GPA en soulignant toute l’hypocrisie ambiante et grandissante pour cacher et ignorer la réalité de cette pratique : si dans les années 1980, on parlait de « mères porteuses », l’expression « grossesse pour autrui » apparaît dans les années 1990. « D’une location, on passe au don », souligne-t-il judicieusement. « Ou l’art d’enrober d’affect la gestation afin de la rendre plus présentable. Encore un effort, et on va nous parler d’amour, de générosité. » C’est bien ce que la formule actuelle de « GPA éthique » sous-entend. Or pour le professeur, le principe même de la GPA n’est absolument pas le don mais plutôt l’abandon. Un abandon programmé, intentionnel, contrairement à l’abandon d’un enfant par une femme qui le confierait à l’adoption. « Il n’y a pas, de la part de la mère d’origine, une volonté de concevoir un enfant dans la seule finalité de l’abandonner ». Or c’est ce qui se passe avec la GPA. « C’est un abandon organisé, programmé, monnayé. Pire, dans la mesure où la médecine intervient, c’est un abandon sur ordonnance ! »
Prostitution et esclavage
Le professeur s’étonne du peu de réactions de la part des féministes au sujet de la GPA. Car pour lui, il s’agit « d’une grave violence faite aux femmes ». Outre les conséquences psychologiques sur la femme (faire abstraction de sa grossesse, ne pas s’attacher à l’enfant…), il s’agit de la commercialisation de son corps. « Disposer du corps d’une femme durant douze mois en moyenne comme d’une machine à procréer n’est rien de moins qu’une aliénation d’autrui, qu’une prostitution, que de l’esclavage. » Il appelle les pays autorisant la GPA à l’éradiquer au nom même de ce principe fondamental qu’est la non commercialisation du corps. « Ce serait un progrès aussi important que l’abolition de la peine de mort. On peut mettre tout le sucre qu’on veut pour dire les choses, cela ne changera rien à ce qui est une forme d’esclavage. L’autoriser est une régression, ce serait nier la valeur du progrès, cet humanisme qui veut qu’on protège avant tout les plus faibles. » Une formule presque évangélique.
Pratique
