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Lorsque Jésus se dépouille de son vêtement, c’est toujours un événement. Et lorsqu’il se revêt d’un vêtement nouveau, l’événement est plus grand encore. Le plus souvent, les deux événements ont lieu dans la fulgurance d’un seul instant, comme si Jésus devait toujours demeurer au moins un peu sous un voile. Ce n’est pas là de sa part une pudeur de vierge effarouchée, mais une miséricorde puisqu’il s’offre à nous d’une manière que nous pouvons recevoir sans être foudroyé par le mystère contemplé. À chaque fois, Jésus se dépouille d’un vêtement pour mieux en revêtir un autre, à chaque fois Jésus se révèle tout en demeurant voilé. C’est le régime de la foi.
À Noël, au Prétoire, au tombeau…
Le Verbe s’était d’abord dépouillé des atours glorieux de sa divinité pour mieux revêtir notre humanité. Il n’avait pas cessé d’être Dieu, mais voici qu’il devenait homme. Il n’avait pas cessé d’être esprit, mais voilà qu’il entrait dans la chair. De la condition des anges à l’humilité des langes, l’événement de Noël était un abaissement. Au Prétoire, Jésus sera d’abord dévêtu pour être flagellé avant qu’on lui impose par dérision un manteau de pourpre. Les gardes voudraient l’humilier en l’accablant de honte d’être exposé nu, mais ils lui rendent un témoignage involontaire en consacrant sa royauté sur le monde tout en annonçant le ruissellement de sang de la Croix et la mort des martyrs qui voudront suivre le Christ jusque dans la mort. L’abaissement du Prétoire est un couronnement et une prophétie.
Au jardin du tombeau, dans un instant secret entre tous qu’aucun Évangile n’ose rapporter, le linceul qui enveloppe le corps du Christ s’affaisse soudain et retombe sur le sol, inutile, car Jésus a revêtu son corps glorieux de ressuscité et sort du tombeau pour apparaître plus tard à Marie-Madeleine. Le dernier dépouillement de Jésus le voit revêtir son apparence définitive, celle qu’il conserve aujourd’hui dans la gloire des cieux et que nous pourrons contempler lorsque nous y accèderons. De la paille de la crèche au jardin de la résurrection, Jésus se dépouille pour mieux se revêtir, et c’est un événement de l’histoire du salut.
Un geste fraternel et liturgique
Le Jeudi saint, alors qu’il entre dans sa Passion volontaire, le Verbe fait chair se dépouille d’un premier vêtement pour se ceindre d’un linge (Jn 13, 4). Un vêtement de tous les jours est abandonné, un linge pour le service ou peut-être pour la liturgie est revêtu par Jésus, qui adopte cette tenue pour laver les pieds des disciples. L’hésitation quant à la fonction de ce linge — service fraternel ou célébration liturgique — est celle qui divise les théologiens, les exégètes, et parmi eux beaucoup de saints, sur la signification de ce récit d’Évangile.
Comme souvent, c’est peut-être l’un et l’autre : en s’abaissant pour laver les pieds de ses disciples, en assumant le rôle de serviteur alors même qu’il s’apprête à entrer plus que jamais dans sa royauté sur le monde, Jésus enseigne à la fois l’humilité et le service fraternel, d’une manière toute prosaïque, et il accomplit un geste liturgique qui nous introduit dans le mystère du baptême et de l’eucharistie. Les deux niveaux de lecture sont vrais, et les sacrements sont toujours fondés sur les apparences les plus dérisoires.
Celui qui veut suivre Jésus, surtout s’il est appelé à exercer l’autorité, doit se faire le serviteur de tous.
Jésus s’abaisse à laver les pieds de ses disciples, contre l’hostilité de Pierre qui trouve cela inconvenant. Il se dévêt des atours du maître pour revêtir ceux du serviteur, contre le vœu des disciples qui voudraient le voir triompher de l’occupant romain et libérer le peuple, voire l’introduire dans le Royaume conçu comme un accomplissement politico-religieux. Et Jésus commande à ses disciples de réitérer ce service d’humilité fraternelle. Celui qui veut suivre Jésus, surtout s’il est appelé à exercer l’autorité, doit se faire le serviteur de tous. Le cléricalisme est dénoncé par Jésus dans l’instant même où il institue l’eucharistie, car il sait que l’abus d’autorité sera la tentation récurrente de ceux que l’Église investira du pouvoir de consacrer le pain et le vin à travers l’histoire.
Un unique événement du salut
Le caractère liturgique du lavement des pieds devient alors évident. Dans la foi, le lavement des pieds, l’institution de l’eucharistie et la mort sur la Croix sont un unique événement de salut. Le Christ sauve les hommes de la mort et du péché sur la Croix, et c’est le centre du triptyque. Mais de chaque côté, un tableau nous enseigne. Le lavement des pieds nous révèle que la Croix est l’abaissement de celui qui est le Grand-Prêtre par excellence dont la mission est de laver les péchés dans un acte d’amour. Jésus verse de l’eau parce qu’il va verser son sang, et c’est un même jaillissement de son cœur. L’institution de l’eucharistie nous révèle que la Croix est un sacrifice où Jésus donne son corps et son sang en nourriture pour le salut du monde. Le corps de Jésus est livré aux mains des pécheurs, au Calvaire comme à chaque communion.
Le lavement des pieds et l’institution de l’eucharistie anticipent et signifient de manière non-sanglante ce que la Croix accomplit dans le sang de l’agneau. Et dans le temps de l’Église, le baptême et l’eucharistie actualisent de manière non-sanglante le sacrifice de la Croix pour le bénéfice de tous les croyants. Jésus laisse seulement un avertissement. Le baptême, l’eucharistie, et le salut qu’ils procurent sont offerts gratuitement. Une seule condition est requise : l’humilité et la charité fraternelle. Si nous voulons suivre Jésus, il nous faut donc nous dépouiller du vieil homme et revêtir l’homme nouveau : Jésus lui-même, serviteur et grand-prêtre, roi crucifié par amour et ressuscité dans la gloire.