Les étincelles montent vers un ciel d’où tombent, virevoltent, des flocons blancs. Le feu de camp crépite dans le silence de la neige. Tout autour, les scouts et les guides sont assis, ils chantent, ils rient, ils sont heureux. Tout à l’heure, ils prieront avec ces mots qui s’élèvent de tous les feux de camp depuis un siècle maintenant : "Seigneur Jésus, apprenez-nous..." Beaucoup de choses ont changé dans le scoutisme depuis l’époque du père Sevin. Mais pas la prière, avec ce vouvoiement de Dieu qui n’est plus guère d’usage mais qui demeure intangible dans la mélodie de ce chant doux.
Quelle est donc cette grammaire, que demandent à apprendre ces jeunes aux chemises de toutes couleurs ? La générosité, le service, le don, l’abnégation, le travail et, au final d’épouser dans leurs jeunes vies, Dieu lui-même. De le laisser advenir en eux, chaque jour un peu plus. Ce n’est pas rien pour un pays, pour une humanité, que d’avoir en son sein quelques milliers, quelques centaines de milles, quelques millions même, de jeunes qui murmurent de leurs lèvres cette demande-là. Bien sûr, comme dans toute prière collective, chacun prononce des mots qui pour une part lui échappent, certains répètent sans bien y réfléchir, d’autres pensent à autre chose. Mais, n’empêche, ils les disent ces mots. Et ils se gravent en eux, dans une mémoire qui, même ignorée, continuera de semer en eux la marque d’une Présence.
L'Espérance de croire que dans le chaos quotidien, la lumière du Salut ne cesse de se lever.
Dans ce mélange de feu et de neige, en cette nuit d’avril, aux températures de février, il y a cette chaleur que rien ne peut éteindre. Chaleur d’une amitié que les mots prononcés façonnent en fraternité. Chaleur de la certitude qu’à être ainsi, au cœur de la Création, il se joue quelque chose d’essentiel que l’on n’a même pas à nommer, car il ne faut surtout pas restreindre aux frontières des mots ce que l’on sent au plus intime et au plus vibrant de soi. Et la neige n’s’y pourra rien : son manteau pourra couvrir l’herbe sur laquelle on est assis, le feu continuera de crépiter dans les âmes pour longtemps encore.
Rentrant un peu plus tard, la radio dans la voiture énonce des actualités d’un monde qui ne sait plus où il va — pour peu qu’il ne l’ait jamais su vraiment. Un monde où l’on condamne, avec justice, la guerre en Ukraine et les massacres qui s’y perpétuent, mais où les mêmes, la minute d’après, se réjouissent d’une coupe du monde de football dans un pays qui finance le terrorisme et qui détruit sans vergogne un peu plus l’environnement. Un monde où l’on s’inquiète de la hernie d’un tennisman renommé mais qui ne dit mot des milliers de personnes qui dans le froid de l’hiver vengeur dormiront cette nuit-même sans abri.
Et ils ne riaient plus
Éteignant la voix sans raison qui égrène cette morbide litanie, j’entends de nouveau ce chant résonner, comme au soir de Bethléem les bergers dans leur attente furent saisis par le chant céleste. Des jeunes qui deux secondes plus tôt pouffaient un peu bêtement de leurs blagues adolescentes, au moment de la prière, se tenaient la main en chantant "Seigneur Jésus, apprenez-nous". Et ils ne riaient plus. Ils chantaient de leurs voix un peu graves et devenues gracieuses, avec sérieux et profondeur. Et en chantant ainsi, ils donnent à notre monde ce qu’il lui faut d’Espérance pour croire que dans le chaos quotidien, la lumière du Salut ne cesse de se lever.