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Cliver ou raisonner ? La stratégie électoraliste du candidat Macron

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Louis Daufresne - publié le 07/01/22
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À "l’envie" de nuire et la stratégie de l’intimidation s’ajoute la destruction de la confiance. Louis Daufresne décrypte la stratégie électoraliste du président Emmanuel Macron.

"Les non-vaccinés, j'ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu'au bout. C'est ça, la stratégie." Ainsi parle Emmanuel Macron, chef de l’État. Imagine-t-on un père de famille s’adresser ainsi à ses enfants ? Conçoit-on qu’un chef d’entreprise parle de la sorte à ses employés, qu’un manager se lance dans ce registre en présence de ses équipes ? La bassesse de la démarche consterne plus que la vulgarité du propos. Elle se distingue des écarts de langage du sarkozysme ou du hollandisme. « C’est choquant car il y a quatre jours, il parlait de concorde et de rassemblement », remarque Philippe Moreau-Chevrolet, expert en communication politique. De fait, il y a une intention de nuire caractérisée. On ne peut l’attribuer à la « libre » discussion avec des lecteurs du Parisien. « Si en dépit de la relecture du cabinet du président, ses propos sont restés tels quels, c'est qu'il y avait bien une volonté assumée », note le politologue Jérôme Fourquet.

Une volonté assumée

Cette volonté assumée est assortie d’une dérive extrémiste : « Jusqu’au bout », dit le Président. Emmanuel Macron ajoute : « Je ne vais pas les mettre en prison, je ne vais pas les vacciner de force. » Vu la versatilité de l’exécutif, que peut bien valoir cette résolution ? C’est comme celui qui dit « je ne suis pas raciste mais… ». Plus je nie une idée, plus je la fais exister. Le seul fait de prononcer ces mots « mettre en prison » a de quoi inquiéter. Tout comme cette question posée dans les colonnes du Parisien : « Faut-il faire payer les soins aux non-vaccinés ? » Cette phrase n’est pas une question mais une réponse, tout communicant le sait.

Pour un chrétien, l’envie est le plus vilain des vices. La vie tout entière est une lutte contre l’envie. Ce mal complote pour faire le malheur du prochain, et le nôtre au passage.

Autre point : le « très envie ». La tournure transforme l’emmerdement en une sorte de caprice jouissif irrépressible, comme s’il s’agissait de glace ou de chocolat. L’homme prend du plaisir à nuire et il l'assume. La gravité du fond se dit dans la futilité de la forme. Emmanuel Macron en abuse quand il déclare plus loin à propos de sa candidature : « Il n’y a pas de faux suspense. J’ai envie. » Ce mot offre deux niveaux de lecture pouvant se compléter : l’un, superficiel, exprime une impulsion éphémère de la volonté (j’ai envie de fraise). L’autre surgit des tréfonds les plus noirs de notre âme. Car pour un chrétien, l’envie est le plus vilain des vices. La vie tout entière est une lutte contre l’envie. Ce mal complote pour faire le malheur du prochain, et le nôtre au passage, quand la jalousie désire déjà prendre son bien. Jouir du malheur des autres, y a-t-il un sentiment plus exécrable ? N’en sous-estimons pas la fréquence ni la puissance. Comme il est inavouable, on le pare souvent d’un discours de justice. L’envie est le ressort de bien des révolutions. Dévorés par la passion de l’égalité, les Français sont plus envieux que d’autres peuples, où les différences sont jugées fécondes. Si on dit l’Américain en proie à la cupidité (greed), le Français l’est par l’envie. 

Gouverner par intimidation

Bref, faire part de son envie de nuire, l’exprimer avec obstination, c’est flatter le moins bon visage de nous-mêmes. Le faire en plein débat parlementaire, c’est dire que l’intimidation est une manière de gouverner. Pareille attitude, à ce niveau de responsabilité, invite à réfléchir à l’état psychique du sujet. On attend d’un président qu’il fasse primer la distance sur l’affectif, que son personnage protège de sa personne. Avoir « très envie » d’« emmerder » quelqu’un pose un problème de comportement. À plus forte raison si celui-ci s’ajoute à la satisfaction de soi. « J’ai très envie », c’est faire de son ego le but de son action. Ce penchant affleure dans des déclarations du style : « Nous sommes un peuple qui a fait confiance à un jeune homme de 39 ans. » S’affirmer ainsi, à la troisième personne, c’est voir déjà figurer son nom dans le grand livre de l’histoire. Qui vivra verra.

Emmanuel Macron cherche à les mobiliser sur son nom en désignant à la vindicte la minorité indocile dont il sait qu’elle ne votera jamais pour lui.

À l’intention de nuire et à la dérive extrémiste s’ajoute la destruction de la confiance : dans la même interview, le Président déclare à propos des antivax : « Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n'est plus un citoyen. » Mais s’interroge-t-il sur l’usage qu’il fait de sa liberté et sur le risque qu’il prend d’abîmer la fonction suprême, d’obérer la confiance que, quelques lignes plus loin, il veut « réussir à bâtir ensemble » ? Quelle personne récalcitrante ira se faire vacciner après avoir entendu que le chef de l’État veut l’« emmerder jusqu’au bout », lui qui a tous les pouvoirs, elle qui n’en a aucun ? Quant à la responsabilité, l’argument est fallacieux. Le pass n’est pas sans effet pervers : fonctionnant comme un visa, il autorise les comportements irresponsables. Ce qui compte, c’est de l’avoir. Ainsi une personne vaccinée et positive peut-elle vivre normalement et contaminer les autres à sa guise, tandis qu’une autre, non-vaccinée et négative, se voit assignée à résidence.

La pratique de l’amalgame

Si Emmanuel Macron avait voulu raisonner les antivax, il leur aurait parlé autrement. Une communication intelligente et mature consiste à informer. La plupart des personnes non-vaccinées voudraient bien changer d’attitude mais la confiance ne se décrète pas, comme en témoigne ce message d’une auditrice de Radio Notre-Dame reçu ce 6 janvier : « Il y a, d’une part, les antivax, manipulés par des sites complotistes, et des gens qui, comme moi, ont dans leur famille des personnes qui ont eu des effets secondaires graves après des vaccins à ARN messager, comme des caillots de sang, apparus entre cinq et six jours après la première injection, qui proviennent d’une interférence entre certains profils génétiques et ces vaccins très particuliers, et dont personne ne connaît la cause. » Elle attend de nouveaux vaccins, plus classiques, fabriqués à partir de virus inactivés pour se faire vacciner sans risque, et que les médecins puissent délivrer un certificat de non-vaccination temporaire pour raisons médicales. Elle ajoute qu’aucune distinction n’est faite par le gouvernement entre les « antivax obscurantistes » et les méfiants ou les prudents. Il fallait peut-être commencer par ne pas faire d'amalgame. Si un produit expérimental fonctionne peu ou mal, pourquoi « emmerder » ceux qui le refusent, ne transgressent pas la loi, et ne demandent qu’à être convaincus ?

Une stratégie électoraliste

Philippe Moreau-Chevrolet pointe une stratégie électoraliste destinée à faire de cette « minorité des boucs émissaires pour rallier une majorité, d'une manière agressive. [...] Une stratégie populiste », ajoute-t-il. Celle-ci correspond à la « guerre de mouvement » dont cette interview du Parisien marque la première offensive. Le « emmerder » ne s’adresse pas aux non-vaccinés mais, comme l’observe Jérôme Fourquet, cette petite phrase « tente de réinstaurer le clivage théorisé depuis 2017 : celui des progressistes contre les nationalistes. [...] Le cercle de la raison [...] s'opposerait au parti des complotistes et des antivax ». 90% de la population française étant vaccinée, Emmanuel Macron cherche à les mobiliser sur son nom en désignant à la vindicte la minorité indocile dont il sait qu’elle ne votera jamais pour lui. Ce faisant, il provoque la réaction des extrêmes, ce qui lui permet de choisir ses adversaires — Zemmour, Le Pen, Mélenchon — et de « cornériser Valérie Pécresse, la rendre moins audible, alors qu'elle est une concurrente sérieuse ». Voilà tout.

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