Depuis une semaine, il y a une question qui m’a été posée plus de vingt fois (j’ai compté !) : « Mon Père, dites-moi, vous n’êtes pas seul pour Noël, n’est-ce pas ? » De tous les jours de l’année, Noël est par excellence le jour où l’on ne reste pas seul. Chez les uns, on est prêt à traverser la France d’un bout à l’autre pour retrouver les cousins dans la maison des grands-parents ; chez les autres, on va peut-être simplement traverser la rue, ou le palier, pour inviter un voisin veuf, ou âgé, ou isolé, à ne pas passer Noël seul. Que ce soit en centaines de kilomètres ou simplement en mètres, Noël est un jour où l’on essaye de vivre cette hospitalité.
Il en va ainsi pour Marie dans cet évangile de la Visitation : elle aussi se déplace, parce qu’elle ne tient pas en place depuis que l’ange est venu lui annoncer deux grossesses : la sienne, qui commence alors, et celle de sa cousine Elisabeth, qui en est à son sixième mois. Deux grossesses imprévues, pour ne pas dire impensables : impensable, que Marie, cette jeune fille impeccable, se retrouve enceinte de façon aussi étonnante ; impensable, qu’Elisabeth, cette femme stérile et âgée, vive enfin les joies de la maternité. Dans un cas comme dans l’autre, a dit l’ange, Dieu montre que rien ne lui est impossible, que c’est lui qui donne la vie, malgré tout ce qui semble s’y opposer. Objectivement, Marie et Elisabeth vont avoir de quoi discuter très, très longuement !
Aller et voir
Derrière tout cela, il y a la dimension très concrète de toute visite. Visiter, en français, vient du mot latin visitare, littéralement aller voir : quand je visite une autre personne, il y a donc deux actions, le mouvement (aller) et la contemplation (voir). Cela, Marie l’illustre parfaitement. Elle va voir Elisabeth, C’est une visite vécue dans l’urgence, et à l’improviste. Marie marche d’un pas rapide par les sentiers du pays de Judée, et il est vraisemblable qu’elle n’a pas envoyé à sa cousine de télégramme pour annoncer sa venue : la surprise pour Elisabeth est totale. Surprise de voir sa cousine entrer chez elle, surprise de savoir que sa grossesse lui est connue, surprise plus grande encore de découvrir le secret de Marie, qui transforme Elisabeth en prophète : les mots qui sortent de sa bouche l’étonnent elle-même, la transforment et l’émerveillent.
Il ne vient pas visiter le monde comme un touriste du Club Med viendrait visiter un pays exotique, il vient habiter chez nous et vivre notre vie pour que nous puissions vivre la sienne à notre tour.
La visite, c’est donc cela : un déplacement qui permet une contemplation. Et, nous dit l’auteur de la lettre aux Hébreux, c’est le résumé de ce qui se passe à Noël, dans l’Incarnation : « En entrant dans le monde, le Christ dit, d’après le Psaume : Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Tu n’as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors, je t’ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté, car c’est bien de moi que parle l’Écriture… » Jésus par Marie entre dans le monde pour le visiter, c’est-à-dire qu’il se déplace à notre rencontre parce qu’il vient nous chercher et nous contempler, nous qui sommes le chef d’œuvre de sa création. Il vient avec un corps dans la réalité de notre existence et c’est dans ce corps qu’il nous donne ce qu’il est. Il ne vient pas visiter le monde comme un touriste du Club Med viendrait visiter un pays exotique, il vient habiter chez nous et vivre notre vie pour que nous puissions vivre la sienne à notre tour.
Chers frères et sœurs, je prie pour vous qui allez vivre en famille ce temps de Noël, avec tout ce que cela implique : la joie de se retrouver, le désir de coexister paisiblement, la crainte des tensions inévitables qui naissent de la promiscuité et des caractères de chacun, la force aussi du pardon que l’on peut se donner, même à l’intérieur des familles… Voilà ce qui fait la matière des visitations que les uns et les autres nous vivrons durant ces jours de Noël. Que le Seigneur vous donne un regard qui aime et qui se laisse étonner, émerveiller, un regard qui contemple et qui rend grâces.