On se doutera que l’auteur de ce billet n’a guère de sympathie et de complicité intellectuelle, économique ou spirituelle avec le régime des Talibans qui se met en place sous les yeux du monde entier depuis le 15 août à Kaboul. Là-bas, des scènes de panique et de violence font froid dans le dos. Installés dans le confort de nos vieilles démocraties occidentales, il nous serait facile de regarder de loin tous ces agités extrémistes d’un pays qui semble être un confetti de l’Asie centrale, sans frontière maritime, entourés de pays peuplés de gens qui nous semblent tout aussi excités comme l’Iran, le Pakistan, la Chine, l’Ouzbékistan et de Tadjikistan. Depuis 1978, j’entends parler des Moudjahidines et de ce pays qui a changé huit fois de régime politique en quarante ans : une certaine lassitude nous prend devant ce peuple et son histoire.
Mais l’Afghanistan est un pays grand comme la France, peuplé de quarante millions d’habitants, avec une histoire millénaire et utilisé depuis 1839 par les Russes, les Anglais et les Américains comme un pion de politique étrangère. Relire l’histoire des trois guerres anglos-afghanes qui mena en 1919 à l’indépendance de l’Afghanistan — que certains historiens mentionnent comme le point de départ de la vague de décolonisation mondiale du XXe siècle — est riche en enseignement pour comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui. Si les personnes peuvent être moralement qualifiées en raison de leur comportement, l’on pourrait dire de même des États souverains. Les jeux de pouvoir de l’Angleterre, de la Russie puis de l’URSS et surtout des États-Unis avec l’opération cyclone de 1979 à 1992 qui finança la rébellion islamique anti-communiste (avec aussi un certain Oussama Ben Laden) sont d’un cynisme effrayant. Les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis. Nous connaissons, depuis l’effondrement de l’URSS en 1991, la suite des événements sur fond d’islamique politique — déjà présent bien avant en Afghanistan comme en Iran.
Le culturel ne peut être séparé du cultuel et les forces d’opposition d’un peuple comme le peuple afghan s’enracinent forcément dans le religieux, en l’occurrence un islam radical que certains traiteront bien sûr d’hérétique mais qu’on ne peut balayer d’un revers de main. Défendre sa culture va s’appuyer sur la défense de ses fondements et les fondements culturels d’une nation sont surtout religieux, car ils façonnent la vie quotidienne et impriment une spécificité devant laquelle l’Internationale communiste ou le capitalisme américain font pâle figure, surtout quand elle est ancrée depuis plus de mille ans dans un pays rude et isolé.
Cette question religieuse, personne n’ose la poser dans une république laïque mais qui est cependant composée de personnes qui, elles, sont religieuses et qui de fait constituent cette République démocratique.
Ayant été utilisé pendant deux siècles comme un pion de géopolitique, la nation afghane a cherché et trouvé dans la religion une force d’opposition à tout ce qu’on voulait lui imposer de force et par intérêt, d’où qu’il vînt, et nous manquons de pudeur en leur tenant aujourd’hui un discours moralisateur. Nous aurions dépensé en éducation, infrastructures et industrialisation ce que nous avons dépensé en armement dans ce pays pour financer à tour de rôle les uns ou les autres dans notre petit jeu d’échec, nous n’en serions certainement pas au point de voir des bébés ballotés au-dessus de fils barbelés ou des gens tomber d’un avion auquel ils se sont accrochés.
Si aujourd’hui en France la question de l’accueil de réfugiés afghans se pose, avec des discours d’un côté totalement alarmistes et de l’autre complètement naïfs, une question n’est jamais posée : est-il possible à une culture donnée d’accueillir des personnes issues d’un univers culturel complètement différent ? Certains diront non, c’est impossible. D’autres diront que cette question est accessoire et que la République peut accueillir tout le monde. Derrière cette question culturelle, il y a la question religieuse car je crois les deux indissociables ; cette question religieuse, personne n’ose la poser dans une république laïque mais qui est cependant composée de personnes qui, elles, sont religieuses et qui de fait constituent cette République démocratique. À une question religieuse, l’on doit apporter une réponse religieuse et je ne vois que l’évangélisation comme réponse pérenne et respectueuse.