La fin de l’année académique sonne aussi l’heure des bilans. Au terme d’une mission, d’un parcours professionnel, il est rare de se quitter sans un regard sur le chemin parcouru. Pourquoi avons-nous besoin de ces relectures ? Pourquoi sont-elles nécessaires ? La raison la plus profonde à quelque chose à voir avec notre foi chrétienne. Nous ne vivons pas dans un temps complètement linéaire et horizontal dans lesquels les jours se succèderaient et se remplaceraient, identiques à eux-mêmes, dans un sempiternel recommencement : lundi, c’est ravioli… Nous ne vivons pas non plus dans un temps cyclique, celui de l’éternel retour du chaos puis du renouveau : on casse tout, et on repart à zéro…
Depuis que le Christ a planté une croix dans l’histoire du monde, nous savons que nous vivons dans un temps orienté, que notre vie personnelle est une histoire dans la grande Histoire du Salut. Histoire de notre rencontre avec le Christ que nous retrouvons jour après jour, dimanche après dimanche, Pâques après Pâques. Histoire de notre rencontre ultime avec le Sauveur du monde le jour où l’univers entier lui sera remis, à la fin de l’Histoire.
C’est pourquoi la relecture du passé répond à une intuition profonde : à travers les souvenirs communs, bons ou mauvais, les anecdotes, plus ou moins drôles, que nous évoquons ensemble, nous dessinons une flèche, esquissant un mouvement, une direction, un but. Nous reposons la question du sens de nos missions, nous nous obligeons à nous reposer cette question : mais au fond, pourquoi ai-je fait tout cela ?
Nous avons chacun une œuvre à accomplir, une mission propre que ces relectures, ces anamnèses nous permettent de mettre à jour, comme ces statues cachées dans la terre depuis des siècles et qui se dévoilent bribes après bribes sous les mains délicates des chercheurs suivant la ligne d’une main, la courbe d’un bras. Voilà entre autres ce qui fait du bien aux couples : se redire le récit de leur rencontre, de leurs débuts, de la genèse de leur histoire commune. Cette histoire fait du bien à leurs enfants qui se sentent plongés dans une aventure qui a commencé avant eux et qui est plus grande que ce qu’ils en voient ou comprennent.
Nous avons besoin de toute notre sincérité pour faire que notre vie ne soit pas l’édification autocentrée d’une œuvre personnelle mais un chemin de sainteté.
Tout ceci nous oblige à une autre question parfois un peu humiliante "qu’en restera-t-il ?". C’est une vraie question, une affaire d’humilité, qui doit nous permettre d’éviter que la relecture de notre vie, où d’un épisode de vie ne devienne une pure et simple réécriture : les extraits choisis de nos réussites, comme si nos prédécesseurs avaient été des incapables, comme s’il ne fallait pas regretter aussi nos erreurs. Être passé à côté de ceux qui avaient quelque chose à dire, avoir ignoré des signaux, avoir cherché à se protéger plutôt qu’à se donner : tout ceci a existé aussi, nous avons besoin de toute notre sincérité pour faire que notre vie ne soit pas l’édification autocentrée d’une œuvre personnelle mais un chemin de sainteté. Nous avons donc besoin du regard du Seigneur pour entrer dans ces anamnèses revigorantes : un regard qui voit où il y a eu de l’amour, où il a fallu du pardon, un regard qui bénit les bons moments, fait confiance à la Providence et croit à l’avenir.
C’est le sens même de la communion des saints : en relisant nos histoires, nous croyons également qu’il y a un jour où toutes ces histoires se réuniront, nous verrons de nos yeux que nous n’avons formé qu’un seul peuple de Dieu, enfin réuni au jour de son retour.