Jacqueline et Roger n’ont pas eu une enfance facile. Jacqueline perd ses parents, emportés par la maladie, à l’âge de 13 ans. Dernière de la fratrie, elle grandit dans la ferme familiale, aux côtés de ses neuf frères et sœurs. Elevée dans la foi catholique, Jacqueline se souvient qu’elle priait le chapelet en famille. Lorsqu’elle a 17 ans, la foudre tombe sur la ferme. "Nous avons tout perdu. Je n’avais plus beaucoup de repères, mis à part Dieu. En recevant les sacrements, je retrouvais des oasis de paix. Je n’avais pas encore rencontré Dieu personnellement dans mon cœur, mais j’avais la conviction qu’il était présent", confie-t-elle.
Quant à Roger, il grandit sous le toit d’un père violent et d’une mère dépressive et blessante. Ces derniers lui répètent qu’il est un enfant non désiré, "un gamin de talus", se plaisent-ils à dire. "Je ne correspondais pas à l’attente de mes parents. Ils auraient voulu un enfant modèle et exemplaire. J’avais besoin d’être aimé, reconnu et accepté tel que j’étais", analyse Roger. De cette situation naît un climat de violence familiale, et d'échecs scolaires. Roger rejette Dieu et la foi en bloc : "Comment un Dieu aussi dur peut-il exister ?", se demande-t-il alors.
Roger devient mécanicien dans l’aviation, et Jacqueline travaille dans le milieu hospitalier. Tous deux se rencontrent à 18 ans, lors d'un mariage. C’est le coup de foudre. Ils se marient en 1974. "Je me suis marié à l’église pour faire plaisir à Jacqueline", souligne Roger. Ils accueillent leur première fille un an après. Quelques mois après la naissance, Jacqueline tombe dans une profonde dépression. "Je me sentais perdue, abandonnée". Sur l’invitation d’une amie, elle rejoint un groupe de prière. "C’est au travers de la prière des frères et sœurs que Dieu m’a guérie de ma dépression. Ma foi a grandi petit à petit. J’ai rencontré personnellement Jésus dans mon cœur, je me suis sentie aimée de Dieu et cela change tout. Je ne subis plus la vie, je me sens vivre avec la paix et une joie intérieure".
Si Jacqueline continue de se ressourcer auprès de son groupe de prière, Roger est bien loin de la soutenir ou de l’accompagner. "Je trouvais ma femme un peu trop bigote, se souvient-il. Voulait-elle se marier avec le Seigneur ? Je sentais qu’elle m’échappait, qu’elle s’éloignait. J’avais beaucoup de pression de sa part : pourquoi ne viens-tu pas au groupe de prière ? à la messe ? mais je voulais que mon cheminement soit le mien, et non commandé par mon épouse".
Cependant, un été, Roger accepte de participer à une retraite pour couples. "Je trouvais que c’était des vacances bon marché !", avoue-t-il malicieusement. Et même très bon marché, au regard de tous les fruits récoltés. "Cette session a été la première étincelle. J’ai découvert la vraie image du Père à travers saint Joseph. C’est à ce moment-là que j’ai recommencé à pratiquer".
Une foi consolidée par un pèlerinage à Lisieux, en 1992, pour ses 40 ans, où il reconnaît de grandes grâces reçues. Le fait qu’une carmélite lui ait demandé de donner la communion alors que de nombreux prêtres étaient présents. Mais aussi cette croix lumineuse apparue sur le sol de la chambre de sainte Thérèse, aux Buissonnets : "Il m’est apparue par terre une croix lumineuse. Je la contemplais, une paix m’envahissait ; je me suis retourné, en me disant : c’est le soleil qui se reflète sur le sol. A mon grand étonnement, il pleuvait". C’est à Lisieux qu’il rencontre un père spiritain qui deviendra son accompagnateur spirituel pendant de longues années.
"Tout cela a été pour moi une amorce à ma conversion, à une époque où j’étais très dur envers moi-même et envers mon épouse, je n’acceptais pas les remarques, j’étais très autoritaire, pas facile à vivre", admet-il. "Notre vie de couple était compliquée", confirme Jacqueline. Dotés tous deux de forts caractères, leurs paroles ne sont pas toujours ajustées. "Jusqu’au jour où mon corps a dit stop", explique Jacqueline. Elle ressent des douleurs intenses au niveau des terminaisons nerveuses qui l’empêchent de dormir. Un soir, elle décide de réveiller Roger et lui demande de prier avec elle. "Nous partageons ce qui se passe en moi. Roger prend conscience qu’il n’accepte pas mes limites. Ensemble, nous implorons le Seigneur pour la grâce du pardon l’un envers l’autre. A ce moment-là, toutes mes douleurs, mes angoisses, disparaissent". Dès lors, leur relation conjugale s’apaise, se purifie.
La vie de Jacqueline et Roger bascule le 4 décembre 2001, « jour de la sainte Barbe, sainte patronne des secouristes ! », aiment-ils à souligner. Et en effet, Roger réchappe à un terrible accident sur son lieu de travail. Un plot de béton de 500 kg se détache à cinq mètres du sol et atteint la jambe de Roger. "Ma jambe se disloqua et une grande et forte douleur secoua tout mon être". Héliporté à l’hôpital, il subit douze heures d’opération pour essayer de reconstituer sa jambe. Mais six jours plus tard, la gangrène et une septicémie prennent le dessus. Son état est critique. Les médecins décident de lui amputer la jambe. "J’étais prêt et conscient que peut-être mon heure était arrivée. Je demandais un prêtre pour recevoir le sacrement des malades. Dans ces moments de douleur, je me remettais dans les bras du Seigneur".
Pour Jacqueline, la nouvelle est rude. Mais elle retrouve rapidement une certaine sérénité grâce à sa confiance en Dieu : "Quand la police est venue m’annoncer l’accident, j’ai eu un très grand coup intérieur, une grande souffrance. Très vite je me suis mis dans les bras du Seigneur, dans un élan de confiance, et j’ai reçu la paix intérieure".
Après de longues semaines de réadaptation dans un centre spécifique, Roger entreprend des études de ressources humaines en gestion du personnel. Sept mois après son accident, il prend ses nouvelles fonctions à l’aérodrome, et s’épanouit dans la gestion de 70 collaborateurs. "Tous les matins, j’arrivais au bureau une demie heure avant et je confiais ma journée à la Vierge Marie. Je lui demandais de me donner les bons mots pour mes entretiens avec mes collaborateurs. De nombreux collaborateurs venaient à mon bureau me confier leurs soucis familiaux ou professionnels. Avec le temps, ils m’ont surnommé Frère Roger", sourit ce dernier.
En relisant cet épisode dramatique de sa vie, Roger reconnaît que "l’accident a été salutaire pour son revirement personnel". Il l’a contraint à lâcher prise, à accepter de ne plus tout faire par lui-même, à se laisser aimer et vivre. "J’ai ressenti l’amour de Dieu comme jamais je ne l’avais ressenti. Le Seigneur a travaillé mon cœur, l’a adouci, m’a rendu plus docile. Le Seigneur n’a pas seulement guéri mon corps, mais il a transformé mon cœur de pierre en un cœur de chair".