La loi française (loi du 7 juillet 2011, art. 40) interdit aujourd’hui la création d’embryons chimériques. Mais n’étant assorti d’aucune sanction pénale, l’application de cette ligne rouge demeure relative. D’autant plus que la loi ne définit pas clairement les embryons chimériques et ne fait pas référence à leur caractère humain, désolidarisant ainsi ces recherches de celles menées sur l’embryon humain. Enfin, selon le conseil d’État, seuls les embryons chimériques homme-animal, c’est-à-dire l’adjonction de cellules animales dans un embryon humain, seraient concernés.
Ce flou juridique laisse donc la porte ouverte aux recherches sur les embryons chimériques animal-homme, résultant de l’adjonction de cellules humaines dans un embryon animal. Le projet de loi bioéthique, qui sera de nouveau débattu en juin, prévoyait dans sa version initiale de trancher en autorisant les embryons chimériques animal-homme.
Sans attendre le vote de ce texte et profitant de la situation indéterminée, l’équipe du directeur de recherche à l’Inserm Pierre Savatier mène des expériences sur des chimères singe-homme. Accueilli comme expert car premier à franchir la ligne rouge dans notre pays, il diffuse dans divers journaux "un message de dédiabolisation des chimères". Un discours « scientiste » dénoncé par Lucie Pacherie, juriste à la Fondation Jérôme Lejeune : "Pierre Savatier présente le mélange animal-homme en évitant de montrer l’objectif qui effraie : développer des organes humains dans des animaux. Il invoque des bénéfices pour la procréation médicalement assistée qui ne supportent aucune critique. Il n’expose pas de justification scientifique claire. […] Il va jusqu’à présenter les chimères comme l’alternative éthique à la recherche sur l’embryon humain. Lui qui a obtenu dernièrement de l’Agence de la biomédecine l’autorisation de rechercher, et donc de détruire, 200 embryons humains."
Loin d’être une alternative à la recherche sur l’embryon humain, la recherche sur les embryons chimériques peut impliquer la destruction d’embryons humains
Or, loin d’être une alternative à la recherche sur l’embryon humain, la recherche sur les embryons chimériques peut impliquer la destruction d’embryons humains : de ces derniers sont obtenus les cellules souches embryonnaires humaines qui sont adjointes aux embryons animaux (il peut aussi s’agir de cellules souches pluripotentes induites, avec lesquelles Pierre Savatier a travaillé pour obtenir des chimères singe-homme).
Différencier les recherches sur les embryons chimériques animal-homme de celles sur les embryons chimériques homme-animal, pour justifier les unes et condamner les autres, est "un leurre" dénonce par ailleurs Lucie Pacherie. Car "les chimères animal-homme contribueront au sacrifice d’embryons humains. Et en actant le principe du chimérisme, elles légitimeront les chimères homme-animal". Enfin, ces recherches se heurtent à plusieurs problèmes techniques, et ne sont pas concluantes lorsqu’elles ne mélangent "que" deux espèces animales. La "rigueur scientifique" n’impose-t-elle pas dès lors d’apporter une preuve de réussite chez l’animal avant de "revendiquer le passage à l’homme" ?
"L’embryon humain ne peut continuer à rester le cobaye des fantasmes de certains scientifiques qui mettent en jeu l’avenir de notre propre espèce", plaide Lucie Pacherie. "Alors, oui les chimères ont raison d’effrayer : leur légalisation aggraverait le bricolage de l’humain et la déshumanisation de son être, à certains moments de sa vie, pour des raisons purement utilitaires. C’est pourquoi il faut s’y opposer" estime-t-elle.
Pour en savoir plus : Gènéthique.