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Aux alentours de Douarnenez existaient dans l’Antiquité plusieurs petites villes florissantes, comptoirs maritimes commerciaux qui tiraient leur prospérité de la fabrication et l’exportation du garum, sauce à base de poisson salé mariné, voisine du nuoc man vietnamien, dont les Romains raffolaient. Nombre de ces commerçants sont orientaux et il se peut que, dévots de la déesse égyptienne Isis, ils aient nommé en son honneur l’un de leurs comptoirs Isiciacum. Quoiqu’il en soit, ces gens sont païens, attachés à leurs anciennes divinités, et le sont demeurés malgré la conversion de l’empire au christianisme. Ils ne sont pas les seuls : passé Nantes, Vannes et Rennes, l’Armorique, en révolte quasi permanente contre les autorités romaines, reste à christianiser. Tous les missionnaires, assimilés à des collaborateurs de l’occupant romain, s’y cassent les dents.
Cette situation étonne beaucoup les premiers réfugiés de Bretagne la Grande lorsque, à partir des années 450, fuyant l’invasion anglo-saxonne de leur île, ils commencent à débarquer en Armorique par paroisses entières. Les Bretons, eux, se sont tôt convertis, bien avant la paix de l’Église en 313, et ils sont navrés de découvrir leurs cousins gaulois dans les ténèbres du paganisme. Un clan celte débarque ainsi de Cornouaille bretonne sous la direction de son tiern, son chef — que la Tradition nomme Gradlon — du moine Guénolé et du prêtre Corentin. S’écartant du bord de mer et de ses périls en ces temps troublés, Gradlon et Corentin s’enfoncent vers l’intérieur des terres et fondent ensemble Quimper, tandis que Guénolé jette les fondations de l’abbaye de Landévenec.
Mais, pour tout dire, ni Corentin, évêque de la nouvelle ville, ni l’abbé Guénolé ne sont de joyeux drilles. Ils tiennent leurs gens d’une poigne de fer, leur inspirant une sainte crainte de Dieu...
Mais, pour tout dire, ni Corentin, évêque de la nouvelle ville, ni l’abbé Guénolé ne sont de joyeux drilles. Ils tiennent leurs gens d’une poigne de fer, leur inspirant une sainte crainte de Dieu, de sorte que Gradlon, dont le pouvoir politique, conformément aux usages celtiques, est subordonné à celui du clergé, a parfois l’impression d’étouffer à Quimper… Aussi s’autorise-t-il des escapades dans les comptoirs romains du bord de mer, où la vie est moins austère, les mœurs plus libres. Il emmène sa fille unique, Ahès, née de ses amours avec une prêtresse nordique et initiée au culte de sa défunte mère. Évidemment, tout cela ne plaît guère à Corentin et Guénolé.
Or, alors que Gradlon et sa fille prennent ainsi quelques jours de vacances, survînt un séisme d’une violence inaccoutumée, suivi d’un tsunami dévastateur. En un instant, les petites cités côtières sont anéanties et, une partie du rivage s’étant affaissée, elles disparaissent à jamais sous les flots. Du souvenir de cette authentique catastrophe naît le mythe de Ker Is, Ys aux cent clochers engloutie par la mer. Gradlon parvint à échapper au raz de marée en invoquant l’aide divine mais Ahès, sa fille impie, meurt noyée. Le tiern est inconsolable. Seule sa foi, qui ne l’a pas abandonné, lui donne une raison de vivre et, comme Guénolé lui répète à temps et contretemps que ce drame est le châtiment des idolâtres, il promet de se vouer à la conversion de ses terres.
De cette église primitive, que l’imagination populaire va embellir au-delà du crédible, il ne reste rien et l’église actuelle, bien plus humble, date de 1536.
Au solstice d’été, se rendant à Landévenec chercher consolation auprès de Guénolé, il traverse la forêt du Crannou aux pentes du Menez Hom, lorsque, dans le vallon du Faou, il voit s’allumer les brasiers de la nuit la plus courte qui honorent les dieux solaires des Celtes. Indigné, le vieux chef prend le ciel à témoin que ce sera la dernière fois et jure que l’année suivante, à la même date, en ce même lieu, il aura bâti une église en l’honneur de Marie et de la Sainte Trinité. Aussitôt, comme s’il entérinait son vœu, le soleil couchant bondit trois fois et danse d’allégresse. Un an plus tard, une église, en effet, se dresse au lieu-dit la Pierre rouge, ru men, à l’emplacement d’un ancien nemeton consacré à la grande déesse Anna qui veillait sur le monde des morts, près duquel coulait une fontaine sacrée, propre à guérir tous les maux du corps et de l’âme.
Telle serait l’origine, plus ou moins vérifiable, de Notre-Dame de Rumengol. En raison des pouvoirs miraculeux attribués à la source, Notre-Dame de Ru Men est peu à peu devenue Notre-Dame de Rumed oll, de tout remède, étymologie qui, au demeurant, fait bondir, mais peu importe, les linguistes. Quoiqu’il en soit, il est certain que le sanctuaire élevé en ces lieux, avec l’appui de saint Guénolé, fut le premier sanctuaire marial de Bretagne.
De cette église primitive, que l’imagination populaire va embellir au-delà du crédible, lui prêtant des colonnes de marbre et de porphyre, des plafonds d’or et maints autres trésors, il ne reste rien et l’église actuelle, bien plus humble, date de 1536. De proportions modestes, elle jouit pourtant d’une réputation immense, due à la dévotion des chanteurs populaires, dont Notre-Dame de Rumengol est la patronne, qui proclament à travers toute la Bretagne la grandeur de la Vierge des lieux, et ses innombrables miracles. Le grand pardon se tient à la Trinité mais les pèlerins ne manquent pas le reste de l’année. Parmi eux, il s’en rencontre dont les dévotions ont un peu de quoi surprendre…
Notre-Dame de Tout Remède est invoquée pour guérir mais, parfois, par permission divine, le malade ne guérit point. Il ne meurt pas non plus, et, dans un monde qui ne connait pas les aides sociales, c’est bien le pire des malheurs. Alors, en désespoir de cause, un proche, ou un pèlerin professionnel, en arrive aux solutions extrêmes. Il retourne à Rumengol, s’agenouille sur le porche, invoque Notre-Dame des Sept douleurs, puis, pieds nus, fait trois fois, dans le sens inverse de la course du soleil, le tour de la chapelle en chantant les mérites de la Passion. Ce rituel accompli, qui remonte à des temps immémoriaux et n’a rien de chrétien, le pèlerin entre dans l’église, et allume un cierge devant Notre-Dame de Tout Remède, cierge qu’il éteint d’un coup, en demandant que la vie dolente du malade s’éteigne pareillement à l’instant. On disait le geste quasi infaillible.
Toutefois, par précaution, au cas où cela n’eût pas fonctionné, le pèlerin va encore puiser de l’eau à la fontaine qu’il rapporte chez le malade. Cette eau, à l’instant où elle est versée sur le front du patient, lui vaut, disait-on, de rendre aussitôt l’âme sans plus de souffrances. Ces rites païens n’ont plus cours depuis longtemps, on le prétend du moins. Reste Notre-Dame de Rumengol, salut des infirmes, vrai et puissant remède à tous les maux de l’humanité.