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L’énigme du calice de l’abbé Leclerc, mort pour la France, bientôt résolue

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Timothée Dhellemmes - publié le 29/04/21
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L'héroïsme de l’abbé Jacques Leclerc, exécuté par les nazis en juillet 1944 pour avoir caché des parachutistes dans son clocher, nous est rappelé par la découverte inattendue de son calice dans le souk de Marrakech. Récit.

"C’est une histoire à la Indiana Jones" promet au téléphone Alain Pignel. Ancien producteur de spectacle et passionné du Maroc, il vient de résoudre une véritable énigme. En juillet 2019, pendant ses vacances à Marrakech, il arpente comme il en a l'habitude les allées très fréquentées du souk. Surprise, un marchand lui montre un calice en argent de style médiéval, avec une poignée en ivoire représentant la couronne d'épines, cerclée de fleurs de lys avec des petites épines stylisées en améthystes et ébène qui prolongent la couronne. Sous le pied du calice, une inscription : « Jacques Leclerc, 12 octobre 1941 -Ob-SB- ». "Je comprends tout de suite que l’inscription Ob-SB signifie Oblat de saint Benoît", raconte Alain Pignel à Aleteia. Troublé par sa découverte, il se porte acquéreur de ce vase sacré pour le compte de son ami, le père Jean-Pascal Duloisy, prêtre du diocèse de Paris.

À Paris, le père Duloisy le confie aussitôt à un orfèvre pour le restaurer. C’est ce calice que Mgr Aupetit, archevêque de Paris, utilisera quelques jours après lors de la messe de Noël qu’il célèbre cette année-là sous le chapiteau du cirque Alexis Grüss. Mais l’histoire de cet objet de dévotion, rapatrié et restauré en France, ne fait que commencer. Elle va s’avérer surprenante.

Le nom "Jacques Leclerc" est inconnu de l'archevêché de Rabat. Pas de retour positif non plus des quelques monastères du Maghreb interrogés.

"À qui le calice a-t-il appartenu ? A-t-il été volé, cédé par des héritiers, égaré lors d’un déménagement ? A-t-il appartenu à un moine, à un missionnaire ?" Face à l’insistance du père Duloisy qui le presse d’enquêter sur cette mystérieuse découverte, Alain Pignel remue ciel et terre pour retrouver une trace. Le nom "Jacques Leclerc" est inconnu de l'archevêché de Rabat. Rien non plus du côté des quelques monastères du Maghreb interrogés. "Nous contactons alors des abbayes bénédictines françaises, comme Solesmes, mais nous ne trouvons rien. Nous étions un peu découragés", se souvient Alain Pignel. Mais un soir, au cours d'une conversation avec sa voisine de pallier, le tout jeune retraité reconverti en Sherlock Holmes trouve un premier indice : "Elle tapote sur son smartphone et tout d’un coup, elle me dit qu’elle a quelque chose sur un certain “Abbé Jacques Leclerc”, né en 1913, vicaire à Dives-sur-Mer (Calvados). Arrêté et torturé par la Gestapo à Pont-l’Évêque le 4 juillet 1944. Exécuté et enterré sommairement dans un charnier à Saint-Pierre-du-Jonquet".

En quelle année a-t-il été ordonné ? Le 12 octobre 1941 ! Je n’en crois pas mes oreilles.

D’un rapide calcul de tête, Alain Pignel exclut cette possibilité : "1913/1941, cela veut dire qu’il a été ordonné prêtre à 28 ans. Pour l’époque, c’est très tardif". Sans illusion mais par acquis de conscience, il téléphone aux archives du diocèse de Bayeux-Lisieux le lendemain matin. "L’archiviste retrouve la fiche du prêtre exécuté. Oui, un prêtre du nom de Jacques Leclerc est bien né en 1913, mort en juillet 1944. Savez-vous quand il a été ordonné ? Oui, le 12 octobre 1941 ! Je prends la claque de ma vie", précise notre enquêteur. Alain Pignel comprend alors que ce calice retrouvé dans le souk de Marrakech a bien appartenu à Jacques Leclerc, un prêtre normand tué par les nazis trois ans après son ordination, pour avoir participé à des réseaux de résistance.

Mais quel rôle a réellement joué l'abbé Jacques Leclerc dans la résistance, et comment son calice a-t-il pu se retrouver au Maroc ? Grâce à l'archiviste du diocèse de Bayeux et à l'association « Un fleuve pour la liberté, la Dives », qui travaille justement sur la mémoire des résistants de Dives-sur-Mer, Alain Pignel parvient à reconstituer la vie de l'abbé Leclerc. Enfant unique, il perd son père en 1936 et sa mère fin septembre 1941, quelques jours avant son ordination. Réputé très proche de ses paroissiens, il devient aumônier du centre de Jeunesse. Encore vivant, Marcel Vauvarin, qui avait été son enfant de chœur, raconte que l'abbé Leclerc avait récupéré un ceinturon de soldat allemand et avait remplacé la croix gammée par une croix scout en laissant la devise : "Gott mit uns" ("Dieu avec nous"). Le prêtre avait également accepté de baptiser un homme juif, pour lui éviter la déportation.

"Le 3 juillet 1944, la Gestapo arrête un groupe de résistants à Dives-sur-Mer, dont l'abbé Jacques Leclerc, qui a probablement été dénoncé : il est accusé d'avoir caché des parachutistes dans le clocher de son église", raconte Alain Pignel. Puis, il est torturé à coup de nerf de bœuf à Pont-l'Évêque, avant d'être exécuté, et jeté dans un charnier avec vingt-sept autres résistants. Son bréviaire, retrouvé dans ses mains ouvert à la page du 9 juillet, permet d'identifier deux ans plus tard le corps du prêtre. Aujourd'hui encore, une plaque sur le mur du Secours catholique de Caen rappelle que c'est grâce à un leg testamentaire de l'abbé que les bâtiments actuels ont été construits.

En continuant ses recherches, Alain Pignel retrouve également le numéro de l'ancien curé de Dives-sur-Mer. "Mais il est formel : il n’a jamais entendu parler d’un calice qui aurait été volé il y a quelques années dans son église." C'est Toni Mazzotti, un passionné de l’histoire de Pont-l’Évêque, qui le met sur la piste d’une certaine Madeleine, maîtresse d’Heinrich Meier, chef de la Gestapo de Rouen. "En 1944, cette femme s’est enfuie en Allemagne avec son amant et l’adjoint de ce dernier qui a sévit à Pont-l’Évêque. Il avait, lui-aussi, une maîtresse française, la tristement célèbre Marie-Clotilde de Combiens, réputée pour avoir contribué à des pillages, des arrestations et des interrogatoires." Aux archives départementales du Calvados, Alain Pignel retrouve une note des services de renseignements français au Maroc (sous protectorat en 1944) : "Je découvre que lorsque la situation a commencé à tourner, ces deux femmes se sont enfuies en Algérie, puis au Maroc, où elles ont été arrêtés en juillet 1945". Au moment de leur arrestation, elles étaient en route pour Marrakech…

La fin de l’histoire reste à écrire. La tombe de l’abbé Jacques Leclerc, qui est en piteux état au cimetière de Dives-sur-Mer, doit faire l'objet d'une restauration dans les prochaines semaine grâce à la souscription lancée par l'association "Un fleuve pour la liberté, la Dives". Une plaque de marbre doit être posée sur sa tombe le 12 octobre 2021, quatre-vingts ans précisément après son ordination.

"Dans la famille, nous ne connaissions pas du tout l'histoire du calice, mais cela m'a ému de voir cela ressortir", reconnait Jean Leclerc, le petit-petit-petit cousin de l'abbé Leclerc, joint par Aleteia. "Je connaissais le nom et le visage de mon aïeul grâce à une peinture qui se trouvait dans la maison familiale, lorsque j'avais 15 ans. Il était en clergyman et nous savions qu'il avait été fusillé par les Allemands. Mais aujourd'hui, ce tableau a disparu", regrette-t-il. La seule photo dont on dispose de l'abbé Leclerc date de 1925. Il était alors en blouse d'écolier et rêvait de devenir militaire. Il est finalement devenu martyr de la résistance 19 ans plus tard. En 1948, l’abbé Jacques Leclerc a été nommé sous-lieutenant à titre posthume.

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