"J’avais 19 ans lorsque, la première fois, j’ai posé mes mains sur ses cinq claviers. J’ai passé trente-quatre ans de ma vie à sa tribune", raconte avec émotion Olivier Latry dans un livre entretien qu’il publie deux ans jour pour jour après l’incendie. Hommage poignant à celui qui l’a accompagné durant une grande partie de sa carrière, Olivier Latry parle de l’orgue de Notre-Dame de Paris comme un fidèle compagnon, source de beauté, de joie et de foi, surtout.
Au premières pages du livre, l’organiste nous replonge dans les premières minutes de l’incendie. Il y dévoile comment il a appris la nouvelle, alors qu’il était à Vienne pour une série de concerts, et l’onde de choc qui l’a submergé au fil des heures. "Comment cela est-il possible ? Notre-Dame fait partie de “tout”, je veux dire du “patrimoine”, et, plus encore, de notre présent. Elle érige notre colonne vertébrale spirituelle, elle porte l’histoire sainte et symbolise le sacré de notre pays." Inséré entre les deux tours, le grand orgue, soutien indispensable du chant et de la prière, a heureusement évité le pire. Aux premières heures de l’incendie, Olivier Latry ignore cependant tout de son état. L’attente est insupportable : "Je redoute que sous l’effet de la chaleur intense, les tuyaux ne s’affaissent sur eux-mêmes. Ils incarnent l’âme de l’instrument." Une fois le feu éteint, les facteurs d’orgue qui accèdent à la tribune confirment que l’orgue est intact. Un miracle pour l’organiste !
Je suis ému parce que l’ensemble des éléments de la liturgie a été préservé"
En rentrant quelques jours plus tard à Paris, alors qu’il se dirige sur le parvis de Notre-Dame, il rencontre par hasard Yves Castagnet, l’organiste de choeur, et Monseigneur Chauvet, l’archiprêtre. L’émotion est grande : "Nous tombons dans les bras en pleurant", écrit-t-il. Passé le choc, Olivier Latry attendra un mois avant de pénétrer dans la cathédrale. Malgré la douleur encore vive, la vision d’une cathédrale qui a su résister lui procure de la joie : "Je suis ému parce que l’ensemble des éléments de la liturgie a été préservé : le maître-autel, les stalles, la statue de la Vierge, la Croix de gloire, les rosaces…". Quant à l’orgue, il sait désormais qu’il revivra. "Q’il prenne le temps qu’il a besoin. Je l’attends".
Baigné par la foi depuis son enfance, Olivier Latry en est pleinement imprégné. C’est naturellement lors des offices du dimanche que son goût pour l’instrument prend naissance à l’église Saint-Michel de Boulogne-sur-Mer, sa ville natale. À 12 ans, il suit ses premiers cours auprès de l’abbé Michel Brebion, organiste de la cathédrale. "Patiemment, le prêtre écrit, sur un petit papier, le nom des jeux que je dois tirer. Durant des années, je l’ai gardé précieusement sur moi, comme un talisman", se rappelle-t-il. Élu sur concours co-titulaire de l’orgue de Notre-Dame de Paris à seulement 23 ans, Olivier Latry n’en revient pas. Il a exactement 25 ans de moins que le plus âgé des autres organistes : "Ma réaction est un mélange de joie et d’incrédulité." Depuis cette date, il n’a pas quitté cette tribune qu’il chérit tant et où il a pu développer tout son art musical au service de la liturgie.
Véritable compagnon de route, l’orgue de Notre-Dame est un complice exigeant comme il aime à le dire. "Il attend un éveil, des mains d’artisans, des rêves de musicien, au service de la beauté et de la foi". Une foi qui ne le quitte pas. Lorsqu’il évoque ses souvenirs avec Notre-Dame, celui des ordinations sacerdotales lui vient immédiatement en tête : "J'en garde un souvenir bouleversant. Ces instants durant lesquels les prêtres sont allongés sur le sol de la cathédrale et que retentit la litanie des saints. Dans l’acoustique de la cathédrale, particulièrement de la tribune du grand orgue, entendre la foule répondre inlassable ment « Priez pour nous » à l’invocation du chantre donne littéralement l’impression que ce sont alors les pierres qui chantent…".
Lorsqu’on lui demande si l’orgue lui manque, sa réponse est simple. Entre la tristesse et une profonde reconnaissance, il a choisi la deuxième option, source d’espérance. "J’ai vécu si haut avec l’orgue de Notre-Dame. J’ai profité de chaque heure d’une relation fusionnelle durant les offices et les concerts. J’éprouve la joie profonde du passé et je ressens déjà l’espoir de nos retrouvailles."