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Perte d’un enfant : comment garder une mémoire « juste » ?

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Mathilde de Robien - publié le 09/04/21
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La perte d’un enfant peut entraîner, plus ou moins consciemment, une forme d’idéalisation. Il est alors difficile, pour les frères et sœurs, de vivre et de grandir à l’ombre du disparu.

« Ta sœur n’aurait jamais fait cela », « Ton frère, lui, aurait sûrement réussi »… Autant de phrases blessantes, amenant des comparaisons infondées car impossibles à vérifier, mettant sur un piédestal un frère ou une sœur parti trop tôt. Une attitude légitime certes, qui montre combien l’enfant disparu est présent dans le cœur de ses parents, mais qui, si elle est répétitive, peut faire profondément souffrir la fratrie.   

Certaines familles évoquent librement le prénom, la vie, le souvenir d’un enfant disparu tandis que d’autres les taisent, par pudeur ou par tristesse. Des réactions très personnelles et propres à chaque famille. Cependant, comment ne pas tomber dans des excès qui pourraient nuire au développement des enfants vivants ? Comment cultiver une mémoire juste de l’absent ? « Soit on parle sans arrêt de la maladie ou du décès, et les frères et les sœurs sont comme ensevelis sous un flot de paroles, soit on n’en parle pas du tout », constate Nago Humbert, spécialiste en psychologie médicale et fondateur d’une unité hospitalière de consultation en soins palliatifs à Montréal, cité dans l’ouvrage de Muriel Scibilia, Sortir de l’ombre, les frères et sœurs d’enfants gravement malades (Slatkine). « Les deux attitudes sont aussi pathologiques l’une que l’autre. Elles font du mal à ceux qui restent. Il n’est pas question d’effacer celui qui est mort, parce qu’il a existé et qu’il existe dans la vie de chacun. Il ne faut pas non plus lui donner plus d’importance que celle qu’il avait avant de tomber malade ou quand il était encore vivant », souligne-t-il.

La tentation est grande, pour des parents, de ne garder en mémoire que les qualités de leur enfant perdu, de l’idéaliser, de le comparer à ses autres enfants, de projeter la vie qu’il aurait eue s’il avait vécu. Un piège dans lequel les parents tombent plus ou moins consciemment et qui n’est pas sans conséquence sur le développement des membres de la fratrie. Lorsque l’idéalisation est trop présente, trop pressante, « il est alors impossible pour les frères et les sœurs de se hisser à la hauteur d’une telle idole », prévient Nago Humbert.

Le risque est que ces derniers souffrent d’un absurde mais néanmoins immense sentiment de culpabilité. Ils se sentent coupables de ne pas être à la hauteur, coupables de ne pas combler les espérances de leurs parents, voire même coupables de vivre, alors que « le meilleur », « le plus gentil », est décédé. Sans compter que cela entraîne une bien piètre estime d’eux-mêmes, et un désir, nécessairement voué à l’échec, de perfection pour égaler un frère ou une sœur idéal. « Il nous revient de déculpabiliser les frères et les sœurs, de mettre le plus de normalité possible dans une situation anormale, de ne pas négliger les apports positifs du défunt et d’éviter de faire des projections sur ce qu’il aurait pu devenir », souligne le spécialiste en psychologie médicale. Ne pas faire du disparu un sujet tabou, mais ne pas en faire non plus une présence pesante.

Fortes de l'espérance en une vie après la mort, certaines familles chrétiennes comptant un enfant au ciel voient dans ce dernier un fervent protecteur de leur foyer et invitent la fratrie à le prier régulièrement pour intercéder auprès du Seigneur. Ainsi, lorsque la sœur de Charles de Foucauld, Mimi, perd son septième enfant après quelques heures de vie, le bienheureux ermite lui écrit de Nazareth : « Tes autres enfants pourront compter ainsi que toi, sur un protecteur bien tendre. Avoir un saint dans sa famille, quelle force ! ». Une belle manière de donner une place à un enfant disparu, ainsi qu’un rôle que lui seul est capable de tenir.

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