Dans ce Royaume désormais accessible à tous, depuis que les ténèbres, déchirés par la Lumière, en ont démasqué le chemin, nous le savons, les prostituées nous précèdent (Mt 21, 31). Celles de l’Évangile, celles du monde, celles de nos rues : celle, croisée un jour devant la basilique St Pierre, qui pleurait de ne pouvoir communier car elle ne pouvait refuser de retourner au turbin le soir-même pour gagner son pain quotidien. Celles rencontrées autour d’une table d’un beau réveillon de Noël et qui chantaient à gorges déployées avec des visages de petites filles Gloria in excelsis Deo. Celles enfin sur lesquelles, plusieurs années de suite, lors des vigiles pascales, je fis couler l’eau baptismale avant de les consacrer par l’huile sainte. Elles étaient, celles-ci, amenées par une association, Tamaris, sise dans le centre de Paris. Une association modeste, portée par quelques bénévoles, armés de leur bonne volonté et d’un désir puissant d’accueillir et de protéger.
Elles étaient venues d’abord pour se poser, parler. Puis, invitées par ceux qui les recevaient, certaines prirent goût à la lecture des Écritures, la prière, et demandèrent le baptême. Elles firent ce vœu car elles voyaient « vivre des chrétiens », ceux qui leur avaient ouverte la porte de Tamaris et la porte de leurs vies.
L’homme qui avait porté ce projet, qui s’était battu avec force pour le réaliser, contre vents et marées, y compris même dans l’Église, c’était Henri Marescaux, homme, époux, père, général aux très nombreuses étoiles, diacre de Jésus Christ. Il avait voulu cette association, et se donnait sans compter pour que les femmes accueillies le soient jusqu’au bout et qu’elles puissent retrouver un chemin de dignité en découvrant la vérité d’un Amour gratuit. Il était venu me voir dans ma paroisse d’alors, pour que ces femmes justement puissent être baptisées comme des catéchumènes « ordinaires ». La première fois, deux jeunes femmes se présentèrent donc le Samedi saint, au matin, pour recevoir avec leurs frères et sœurs l’huile qui leur est réservée et qui manifeste cette force que le Seigneur veut leur donner pour accomplir cette ultime étape, à quelques heures du grand bain !
Doucement, leur timidité disparaît à mesure qu’elles comprennent que personne ne connaît ici leur histoire et qu’elles sont accueillies pour ce qu’elles sont et non pour ce que l’on dit d’elles. Puis vient le grand soir. Elles arrivent, belles et heureuses, un peu intimidées par la foule qui se presse, mais entourées par ceux qui depuis des mois, des années, les guident au quotidien. Après les avoir baptisées, étendant les mains sur ceux qui désormais deviennent néophytes pour que l’Esprit Saint descende dans leur vie, je réalise que devant moi, côte à côte, ignorant tout les uns des autres, se trouvent, un juge, deux prostituées et un policier… Dans la joie de Pâques, ce soir-là, l’Évangile s’incarnait, sa promesse s’accomplissait.
Henri Marescaux disait : « Nous avons à être les mains, le regard, le sourire du Christ qui invite ces femmes prostituées à se relever. » Henri est mort le Jeudi saint, cette semaine. Il est mort, servant de la table, servant des pauvres. Le plus gradé s’est voulu serviteur. Il fut pour celles que personne ne regarde proprement un visage du Christ qui ne juge ni ne condamne mais qui écoute, console et relève, un visage du Ressuscité. Sans doute qu’au cours de ces vigiles qui viennent de se tenir, nombre de nouveaux baptisés doivent ce chemin de vie qui s’ouvre désormais pour eux à la rencontre avec un homme, une femme, dont le sourire, la bonté, la charité furent le signe puissant de l’Amour dont Dieu les aime. Quelle beauté que Pâques où tant de chrétiens peuvent contempler dans le « oui » de leurs frères, la manière dont l’Esprit déploie en chacun sa puissance et sa grâce !