L’attaque islamiste du port de Palma ce 24 mars n’est pas une surprise, la menace djihadiste étant forte dans cette région du nord du Mozambique, mais l’intensité, le mode opératoire et la faiblesse de réaction de l’État central font craindre un enlisement, voire une contagion, qui pourrait affaiblir l’ensemble de l’Afrique de l’est.
Le pape François a coutume de parler de « guerre mondiale par morceaux » : nous y sommes avec cette nouvelle attaque. Un nouveau morceau vient d’être ajouté à cette guerre mondiale que livrent les djihadistes. Ce n’est plus seulement le Moyen-Orient qui est concerné, ni la bande sahélo-saharienne, mais aussi l’Afrique de l’ouest et désormais l’Afrique de l’est, le long de l’océan indien. Mois après mois, l’Afrique devient une terre privilégiée du djihadisme mondial.
La région a été islamisée très tôt, par des marins musulmans en route vers les Indes. Indonésie, Pakistan, Comores, Mayotte et le littoral africain de l’océan indien, comme la Tanzanie, la Somalie et l’Éthiopie, forment le long espace géographique indo-africain de l’islam. À cela s’ajoutent la descente traditionnelle de l’islam depuis le Maghreb et les liens commerciaux ancestraux avec la péninsule arabique. Des liens anciens donc, où l’islam se surimprime sur les disparités ethniques et humaines, auquel il s’ajoute depuis quelques années la naissance du djihadisme armé et le combat politique.
Que les assaillants du raid de Palma se nomment al-Chebab (« la jeunesse ») comme le groupe du même nom en Somalie et qu’ils affirment leur affiliation à l’État islamique leur permettent d’établir des réseaux de connexions mondiales et de s’inscrire dans un djihad globalisé. Reste à voir la réalité de cette affiliation et notamment si l’EI, qui n’a plus sa splendeur de 2015-2017, fournit à al-Chebab du matériel, des encadrants ou des conseils logistiques. Difficile à savoir pour l’instant tant l’opacité règne sur ce groupe et son mode d’action.
Outre le fait d’être un lieu de passage stratégique, le canal du Mozambique est en train de devenir un pôle majeur du gaz. De nombreux gisements sont en cours de découverte et Total débute leur production. Le Mozambique est situé sur les routes des échanges avec le golfe arabo-persique et le canal de Suez, ce qui excite aussi les intérêts et les convoitises des puissances musulmanes : Arabie saoudite et émirats bien sûr, mais aussi Turquie, très présente et influente en Somalie et en Éthiopie (notamment dans le textile). Les gisements de gaz, particulièrement prometteurs, ne sont donc pas isolés sur la scène mondiale, mais s’insèrent au contraire dans le grand jeu énergétique. À cette imbrication des puissances il faut ajouter la place particulière de la France, qui est en première ligne sur ce dossier, d’une part du fait de la présence de Total comme exploitant principal, d’autre part du fait des possessions françaises dans le canal du Mozambique, les TAAF (Terres australes et antarctiques françaises) dont les îles Éparses de l’Océan indien lui permettent de disposer d’une vaste ZEE (zone économique exclusive). S’il n’y avait pas cet enjeu mondial du gaz, la question djihadiste mozambicaine serait beaucoup moins importante.
Ni les militaires du pays ni les sociétés militaires privées n’ont pu empêcher l’attaque et repousser les agresseurs.
À cette question mondiale s’ajoute une problématique locale, celle de la raison pour laquelle la province du Cabo Delgado connait cette irruption djihadiste et ces attaques urbaines. Comme toujours, les causes sont plurielles et s’enchevêtrent. Il y a le facteur ethnique et la rivalité entre les Makonde (intérieur des terres) et les Mwani (présents sur le littoral). Il y a également le facteur économique et l’excitation provoquée par la découverte des gisements de gaz. Celui-ci est néanmoins limité : quand bien même les Chebabs parviendraient à prendre le contrôle de la région, ils seraient incapables d’exploiter le gaz off-shore du canal. Rien à voir donc avec l’EI qui a pu se financer en vendant le pétrole irakien. Il y a enfin un facteur politique et géographique. Le Cabo Delgado est situé tout au nord du Mozambique, alors que la capitale, Maputo, est tout au sud, à la frontière avec l’Afrique du Sud. La région est donc excentrée et nullement intégrée dans l’espace mozambicain. Il est donc beaucoup plus facile d’échapper au pouvoir central, surtout dans un pays faible, et d’organiser un soulèvement.
Très peu d’informations ont filtré sur la nature de l’attaque de Palma et les dégâts causés. Ce que l’on sait, c’est que la ville dispose d’une population de 50.000 habitants et qu’elle fut attaquée par environ 200 djihadistes. Dans ce type de combat urbain, des soldats équipés et motivés effacent le différentiel démographique. Cela n’est pas sans rappeler la bataille de Marawi (2017) aux Philippines, une ville de 200.000 habitants prise par quelques milliers de djihadistes, que l’armée nationale n’a pu reprendre qu’après six mois de guerre et une ville largement détruite. Les Philippines avaient dû recevoir le soutien des États-Unis et de l’Australie pour pouvoir reprendre Marawi. À Palma, les informations contradictoires font part de plusieurs centaines de morts. Les populations civiles occidentales sont toujours enfermées dans les hôtels, sans que l’on sache ce qu’elles deviennent. Il est fort possible que les djihadistes s’en serviront comme otage. 6.000 personnes auraient quitté la ville, sans que l’on retrouve leurs traces. Ni les militaires du pays ni les sociétés militaires privées n’ont pu empêcher l’attaque et repousser les agresseurs.
C’est donc la plus grande confusion qui règne et la plus grande inquiétude à l’égard des populations autochtones et occidentales. On voit mal comment le Mozambique pourrait reprendre la situation en main. Une intervention militaire sera-t-elle nécessaire pour libérer la ville et les otages, dont de nombreux Français ? Dans ce cas, l’armée française ne pourra être que sollicitée, du fait de la base de Djibouti au nord et de la présence de la France en face du canal, à Mayotte et dans les îles Éparses. La prise de la ville de Palma ouvre un nouveau front du djihad mondial et étend le conflit à l’Océan indien, un océan où les intérêts de la France et de l’Europe sont grands. Loin d’être un épiphénomène, cette éruption guerrière qui vient de sortir du volcan djihadiste n’a pas fini d’incendier la région.