Il y a probablement des moments de vérité dans la vie de chacun d’entre nous, des moments où nous sentons qu’il nous faut faire un pas jusque-là redouté par paresse ou par ignorance, par lâcheté ou par convenance. Un pas qui nous permettra de nous révéler à nous-même et ainsi aux autres, ce que nous sommes, ce qui compte plus que tout, ce qui — au risque de la grandiloquence — nous fait vivre. D’une manière plus vulgaire, il s’agit parfois de montrer ce que "nous avons dans le ventre". Il en va de même pour une société.
Vivre ensemble en avançant
Si elle n’est pas la simple somme des individualités, ni la réponse mutualisée aux injonctions particulières, une société est le lieu censé permettre aux humains que nous sommes de vivre ensemble, certes, mais en avançant. Il ne s’agit pas de former un club de survivalistes ou de susciter l’éclosion de tribus qui se tiennent en respect les unes les autres. Il s’agit de permettre à des hommes et des femmes de faire peuple. De croire qu’ils ont à écrire ensemble la page d’une histoire qui ne les a pas attendus et qui leur survivra.
Le "Principe de Précaution" est désormais promu en critère ultime de la décision politique, économique, sociale.
Depuis quelques décennies, aux névroses bien françaises qui font le charme de notre pays tout en entretenant un sentiment d’étrangeté chez nos voisins, s’ajoute un principe qu’on a voulu constitutionnel et qui élève des murs de plus en plus infranchissables autour de tout projet commun. Ce principe porte un nom prudent et ne devrait susciter dans notre société bourgeoise aucune défiance particulière tant il est sage en apparence. Mais l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ? Le "Principe de Précaution" est désormais promu en critère ultime de la décision politique, économique, sociale. Rien ne peut se faire hors de son regard. Rien du coup ne s’envisage sans son consentement. C’est dire que, du coup, rien ne peut se vivre de sérieux. Imagine-t-on l’inventeur du feu contraint de passer sous son joug avant de prendre le risque de frotter ses silex ? Et que dire des recherches sur l’atome ? Est-il envisageable qu’aujourd’hui puissent travailler ceux qui hier découvraient le moteur à explosion, l’électricité, voire même la bicyclette ? Et quel responsable politique, quel industriel, aurait-il pu prendre sur lui pour autoriser ces savants à diffuser leurs inventions en les commercialisant ?
Se fier au bon sens
Les soubresauts d’une société obsédée par le refus de mourir qui se manifestent comme des spasmes anarchiques et contradictoires lorsqu’il s’agit de vaccin, les tremblements des décideurs qui se savent pénalement responsables de la signature du moindre sous-fifre, tout cela servi par des médias dont l’intérêt pour la vérité se dissout dans l’amour de l’argent : autant d’ingrédients pour ce cocktail de barbituriques qui pourrait bien nous anesthésier dans une torpeur mortelle.
Il nous faut prendre des risques, telle est la condition vitale de l’existence humaine.
Il faut parfois se fier au bon sens : en regardant samedi le XV de France se battre comme des lions contre les Gallois, l’emporter à l'arraché à la 81e minute d’un match inouï, on se reprend à espérer. Espérer qu’un jour ce qui fait le génie d’un peuple l’emporte sur la peur et le repli. Il nous faut prendre des risques, telle est la condition vitale de l’existence humaine. Nous devons prendre des risques, nous devons oser vivre et donc aussi poser paisiblement l’horizon de la mort comme une réalité et non d’abord comme un risque.
Le principe de précaution n’a que peu en commun avec la prudence qui elle est une vertu. La prudence nous invite à réfléchir, discerner, à regarder lucidement les conséquences de nos actes, pour autant qu’elles soient discernables, et à agir en cherchant à éviter toute erreur. Le principe de précaution part du principe que la mort est une erreur, que le danger est une erreur, que le risque est une erreur. Et cette erreur est porteuse de conséquences sonnantes et trébuchantes, ce qui rend impossible toute prise de risque !
Le principe de fraternité
À la fin de leur match triomphal, les Bleus, ce samedi 20 mars au soir, sortirent du terrain après avoir serré la main de leurs adversaires défaits, rompant ainsi ces gestes sanitaires en passe de devenir le vade-mecum de tout bon citoyen. Seront-ils pour cela punis et poursuivis ? Et si, au bout du compte, la prudence nous commandait de nous affranchir collectivement de ce principe constitutionnel en le remplaçant par un devoir de fraternité bien plus périlleux mais ô combien plus nécessaire ?